Auteur : Maryla Laurent

 

1.1. Cadre général introductif

En 966, l’entrée en chrétienté des tribus slaves qui ont pour chef le futur grand duc Mieszko Ier se fait par l’intermédiaire de la Bohème. Les premières prières orales (Je vous salue Marie, Notre Père, Je crois en Dieu, Décalogue),  du peuple non instruit se font à partir du tchèque et sont très vite transposées en polonais. Les moines bénédictins et cisterciens, venus souvent de France, introduisent le latin et apportent des livres religieux à une société qui ne connaît pas l’écriture. L’influence du latin sur le polonais est considérable. Elle est à l’origine de l’alphabet, mais aussi des codifications et normalisations successives de la langue et de la littérature polonaise. Le rôle de la traduction qui va de la paraphrase à la libre imitation en passant par la traduction littérale, est essentiel. Le latin reste longtemps la langue d’excellence. Le jésuite Maciej Kazimierz Sarbiewski (1595-1640), poète polonais de langue latine, donnera une version latine au plus ancien texte connu, en vers, de langue polonaise - la prière à « La Mère de Dieu », Bogurodzica. Les œuvres de Sarbiewski, l’Horatius Christianus, et celles de toute l’importante littérature polonaise de langue latine sont, à leur tour, traduites en polonais. La traduction joue ainsi un rôle structurant majeur dans le dialogue littéraire entre le latin et le polonais pendant plusieurs siècles.

1.1.1. Quel est le premier texte traduit ?

Au Xe siècle, le Kyrie eleison devenu kierlesz, pour être passé par le krlešu tchèque, est chanté durant les offices, les processions, les enterrements, mais bientôt également pour aller au combat. Il a autant une valeur religieuse que magique. L’Église se méfie des traductions en langue vulgaire. Il n’en demeure pas moins qu’en 1248, le synode de Wrocław enjoint au clergé de réciter in vulgari, avec les fidèles, le « Notre Père » et « Je crois en Dieu » tous les dimanches et fêtes.

La version polonaise la plus ancienne de texte biblique, celle des Psaumes, est conçue en 1280, au château royal de Cracovie. Copiée et recopiée, elle circule pendant au moins deux siècles et demi. Le nom de Psautier du monastère de Saint-Florian qui lui est donné aujourd’hui, tient au fait qu’en 1827, un exemplaire en est retrouvé en Autriche, non loin de Linz, au monastère de Sankt Florian. Les 296 parchemins aux riches enluminures sont l’œuvre de trois copistes à la charnière des XIVe et XVe siècles. Le copiste A s’est chargé des psaumes 1 à 101 ; le B des psaumes 102 à 106 ; le C des psaumes 107 à 150. Chaque psaume est en version latine (celle de la Vulgate), allemande (faite en Silésie) et polonaise (manifestement traduite de la Vulgate, avec des reliquats de polonais très ancien et des emprunts nombreux à la traduction tchèque). Le Psautier de Saint-Florian constitue l’un des ouvrages de référence sur la naissance d’une littérature en langue polonaise à la recherche de son expression. Racheté en 1931 par la Pologne à l’Autriche, il est actuellement conservé[1] à Varsovie, dans sa reliure en cuir repoussé du XVIe siècle.

La traduction de  la fin du XIIIe siècle a reçu pour ses premières copies  les noms des épouses royales. La version initiale, aujourd’hui disparue, est connue sous le nom de  Psautier de Cunégonde – Kinga (1234 -1292), épouse du prince Boleslas le Honteux, devenue une sainte polonaise. L’hagiographe de la Bienheureuse princesse rapporte  dans la Vitae… sanctae Kyngae ducissae Cracoviensis que, chaque jour, elle chantait dix psaumes in vulgari avant de quitter l’église. Les psaumes de la première partie du Psautier de Florian existent parallèlement comme Psautier de la reine Hedwige - Jadwiga (1374-1399), reine de Pologne à partir de 1384 – à laquelle ils étaient destinés. Enfin, la découverte au monastère de Saint Florian fut d’abord appelée Psautier de la reine Marguerite - Marguerite l’épouse de Louis Ier, roi de Pologne (1370-1382).

Le texte du Psautier de Florian a connu seize éditions modernes depuis qu’il fut découvert. La première en 1834 par le comte Dunin Borkowski à Vienne en 1834. La dernière en 2000, à partir de celle du manuscrit in folio faite à Lwów en 1939.

Les nouvelles traductions des Psaumes se multiplient au XVe siècle, sous l’influence de la Réforme, mais aussi avec l’essor de la langue polonaise. Les plus importantes sont le Psautier de Cracovie (1532), le Psautier de Walentyn Wróbel (1539), mais surtout celui de Mikołaj Rej (1545) pour laquelle le poète obtient un village en Ruthénie du roi Sigismond le Vieux. Ignorant de l’hébreu, Rej travaille avec un savant hébraïste non sans se référer à l’édition polonaise de 1532 du Psalmorum omnium iuxta hebraicam veritatem paraphrastica interpretatio de l’hébraïste néerlandais Jan van der Kampen (Campensis).

En 1555, Calvin écrit au très instruit linguiste polonais Andrzej Trzecieski à Cracovie pour le convaincre de donner à ses compatriotes une traduction de la Bible à partir de l’hébreu, du grec et du latin. Ce sera la Bible de Brześć [Brest-Litovsk] traduite par Grzegorz Orszacki, Piotr Statorjusz, Jerzy Szymon, Jakób Lubelczyk et un Français Jean Thenaudus de Bourges. Elle connaîtra plusieurs éditions au XVIe siècle avec des publications indépendantes du Psautier. Les traducteurs y privilégient la qualité de la langue polonaise plus que la fidélité aux textes sources.

Vient ensuite ce qui est considéré comme le siècle d’or des traductions de la Bible, tant celles-ci sont nombreuses. La plus  remarquable traduction des Psaumes est faite par Jan Kochanowski (1530-1584), immense poète de langue latine, mais aussi celui qui crée la poésie polonaise et codifie sa versification. Son Psautier de David (1579) connaît plus de vingt éditions jusqu’en 1642, utilisées par toutes les confessions chrétiennes en Pologne. Kochanowski privilégie dans sa version ce qui unit dans leur foi les catholiques, les protestants et les orthodoxes. Il travaille à partir de la Vulgate, mais aussi de la paraphrase de l’Écossais George Buchanan tout en opérant un syncrétisme harmonieux de la phraséologie biblique avec la prosodie grecque et l’expression horatienne. Il sublime les représentations poétiques et adapte le style biblique aux traditions culturelles et linguistiques polonaises. Ainsi crée-t-il en poésie polonaise un langage particulièrement subtil et mélodieux pour exprimer l’émotion religieuse avec une richesse synonymique impressionnante. L’année qui suit la parution du Psautier de David, Mikołaj Gomółka, le plus remarquable compositeur polonais  du XVIe siècle, leur donne une version musicale, Les Mélodies pour le Psautier polonais. Depuis, cette version profondément humaniste des Psaumes est présente dans les livres de chant des Églises chrétiennes polonaises.

Pour essentielle que soit la dimension religieuse de la traduction des Psaumes, elle est d’abord le domaine de poètes en Pologne. Le Psautier de David qui confirme l’unité culturelle de la littérature polonaise avec l’Europe occidentale et méditerranéenne inspire Mikołaj Sęp Szarzyński (1550-1581), Wespazjan Kochowski (1633-1700), Franciszek Karpiński (1741-1825) ou, plus récemment, Roman  Brandstaetter (1906-1987), et tant d’autres auteurs petits ou grands, qui s’essaient à donner aux Psaumes un tour polonais. Pour Czesław Miłosz, prix Nobel de littérature (1980), les Psaumes sont le modèle stylistique à travailler pour qui veut entrer en poésie polonaise. Il apprend le grec puis l’hébreu pour traduire et publier son Livre des Psaumes (1979, Éditions du Dialogue, Paris). Il affirme que c’était pour lui un procédé pour trouver sa langue poétique, pour poser la voix de la poésie polonaise et  permettre à celle-ci d’échapper au jargon dominant, celui des intellectuels et des journalistes. « Traduire les Psaumes exige que l’on crée une expression qui puisse les porter », écrit-il. Tandis qu’il traduisait, il dit avoir cherché les solutions apportées par ses prédécesseurs, et c’est aux traducteurs anonymes du Psautier de Florian qu’il accorde sa préférence admirative. Après sept siècles, ils savent toujours, par le choix de leurs mots, tournures, sonorités et images émouvoir le cœur et interpeller l’esprit.

1.1.2. À quelle époque commence-t-on à traduire les textes religieux dans votre langue ?

1.1.3. Date de la première traduction intégrale de la Bible ?

La première traduction intégrale de la Bible est celle dite Biblia królowej Zofii, « Bible de la reine Zofia » quatrième épouse de Władysław Jagiełło. Elle est encore appelée Biblia szaroszpatacka du nom de la bibliothèque calviniste de Sárospatak en Hongrie où le manuscrit dont seul le premier volume existe, était conservé jusqu’en 1939. Entre 1453 et 1461, plusieurs traducteurs, et notamment Andrzej de Jaszowice, ont travaillé à partir de la Vulgate, mais en se servant des traductions tchèques anciennes.

Au moins deux autres traductions manuscrites intégrales existaient, mais seuls des fragments nous sont parvenus.

La première version imprimée de la Bible en polonais date de 1561. Elle est appelée Biblia Szarffenbergerowska du nom des commanditaires de la traduction, les Szarffenberg. La traduction signée Jan Leopolita, pseudonyme de Jan Nicz de Lwów, un professeur de l’Université de Cracovie, est dédiée au roi Sigismond Auguste. Elle s’inscrit dans la confession catholique, mais est  aussitôt contestée par l’Eglise car d’une facture très libre. Une nouvelle traduction catholique est bientôt indispensable, d’autant qu’en 1563 paraît la traduction calviniste appelée Biblia Brzeska [Bible de Brest-Litovsk] dans une langue beaucoup plus soignée. Jan Łaski en débute la traduction que termine à sa mort un groupe de traducteurs (Jan Laski, Francis Stankar, Peter Statorius, Andrew Trzecieski, Jakub Lubelczyk, Martin Krowicki sous la direction de Grzegorz. Orszak, recteur de l’Ecole de Pińcz. Le titre polonais mentionne «  traduite du juif, du grec et du latin en langue polonaise avec application et fidélité ». Cette traduction sera régulièrement rééditée jusqu’en 1632 où paraîtra la Bible de Gdańsk.

En 1584, les jésuites de Kalisz confient la traduction de la Bible à Jakub Wujec. En 1593, celle-ci paraît avec la mention « A nouveau traduite fidèlement du latin et du grec en polonais ». Elle sera rééditée jusqu’au XXe siècle. En 1965, les bénédictins de Tyniec livrent la Biblia tysiąclecia [la Bible du millénaire]

Les Frères Polonais ou Trinitariens (frange la plus radicale de la réforme) publient, en 1572, une traduction intégrale signée par Szymon Budny et traduite du grec.

L’une des traductions importantes est la Biblia gdańska déjà citée. Son auteur est Daniel Mikołajewski, mais un comité scientifique, formé de P. Paliur, A. Węgierski et J . Turnowski, la relit et valide. Cette version devient la Bible de toute l’Eglise réformée du Royaume de Pologne et de Lituanie. Elle est régulièrement rééditée jusqu’au XXe siècle.

Dans les années 50, des traductions laïques sont faites (W. Witwicki, 1958 ; A. Sandauer , 1974.)

 

1.2. La pratique de la traduction

Qui traduit ?

Des religieux catholiques ou  protestants, universitaires (Cracovie, Pińsk..)

1.2.1. Qui sont les traducteurs (formation, langue maternelle, statut social, quelles sont leurs conditions de travail ? sont-ils reconnus en tant que traducteurs, s’agit-il de leur activité principale ? etc.) ?

Les moines cisterciens, dominicains franciscains créent des écoles près des cathédrales (schola magna) où ils alphabétisent des cercles de plus en plus vastes de la population. Dans ces écoles, dans les couvents, mais aussi, à partir du XIIIe siècle, dans les écoles paroissiales (schola parva), le Psautier est le manuel qui sert à l’apprentissage du latin. Il est conseillé aux élèves de connaître les psaumes par cœur. Ainsi le Psautier de la Vulgate joue-t-il un rôle majeur dans la transmission des valeurs religieuses, mais aussi dans l’acquisition de l’art d’écrire dont bénéficie le futur fleuron des érudits polonais. Ce sont ces litterati qui deviennent les auteurs des premières traductions de la Bible quand le besoin de la rendre accessible en langue vulgaire se fait sentir. Les Psaumes, partie la plus connue et la plus appréciée de l’Ancien Testament en Pologne, sont traduits en priorité.

Que traduit-on ?

1.2.2. Quels types de textes religieux traduit-on ?

1.2.3. Traduit-on à la même époque des textes profanes ?

Au XIIIe siècle, le Royaume de Pologne compte quelques 3000 paroisses. L’évêque de Cracovie, Iwo Odrowąż, émule de l’école parisienne de la montagne Sainte Geneviève, préconise l’utilisation du polonais pour prononcer les sermons (1226). En 1217, l’inventaire de sa très riche bibliothèque signale la présence des Sermones vocati Speculum Ecclesie d’Honoré d’Autun (+ 1157). Ce recueil de prônes pour chaque jour de l’année est rédigé en latin, mais Augustodiensis préconise que le prêche soit prononcé en langue vernaculaire.  Les dominicains, les franciscains s’y emploient activement après en avoir obtenu l’autorisation (licentia praedicanti) de leur évêque.

Les textes juridiques : Kodeks Świętosławowy [Code de Świętosław ] manuscrit 1449-1540 : traduction du latin en polonais des Statuts royaux de Casimir Le Grand et Ladislas Jagellon. Le traducteur est  Świętosław de Wocieszyn et il a donné son nom au code de lois.

Ortylie magdgeburskie [allemand « Urteil », verdict / La jurisprudence de Magdebourg] est une traduction de l’allemand en latin et polonais des jugements du Tribunal de Magdebourg considérés comme des modèles à suivre dans les villes polonaises de droit allemand. La traduction est du XVe siècle alors que le code était déjà utilisé au XIVe mais en allemand.

Les chansons d’amour tchèques qui se modèlent à partir des textes italiens, provençaux ou allemands sont reprises, « traduits », adaptés polonisées aux XIVe et XVe siècles.

Comment traduit-on ?

1.2.4. À partir de quel texte-source ?

1.2.5. De quelle(s) langue(s) traduit-on ?

Latin, tchèque, allemand.

1.2.6. Passe-t-on par une langue relais ?

Le tchèque sera langue relais du grec, du latin, du slavon puis des influences poétiques d’Italie et de France.

1.2.7. Les dictionnaires

En 1424, est publié le premier dictionnaire latin polonais appelé Wokabularz trydencki [Le vocabulaire de Trente]. Il comporte 500 entrées avec des termes juridiques, botaniques, sociaux. L’auteur est inconnu.

Le manuel de Johannes Murmellius (1480-1517), Adagia et sententiae latino-germanicae, très populaire en Europe, est traduit, en 1526 ou 1528, par Hieronim Spiczyński pour devenir Dictionarius Ioannis Murmelii vararrum… cum germanica atque polonica interpretatione…Il comporte 2444 entrées polonaises dont la traduction d’un intéressant vocabulaire littéraire essentiel dans le chapitre De bonum artium professoribus.

1528, Franciszek, Mymer, Dictonarium trium linguarum, latinae, teutonicae et polonicae.

Des dictionnaires thématiques : Jan Stanko (+1493), Antibolomenum (médical)

Jan Cervus, Farrago actionum civilium iuris magdeburgensis [recueil de procès selon le droit de Magdebourg], latin-polonais, 1531.


[1] Version numérisée du Psautier de Florian à la Bibliothèque nationale polonaise consultable sur : http://www.polona.pl/dlibra/doccontent2?id=196&from=pubstats