Auteurs : Irina Babamova & Frosa Pejoska-Bouchereau

 

1.1.  Cadre général introductif

Regards sur l’histoire de la traduction en Macédoine (IXe siècle-1989)

L'histoire de la langue et des lettres macédoniennes est liée à la traduction. Les premiers textes sacrés traduits en macédonien sont aussi les premiers textes sacrés écrits en macédonien. Le vieux-macédonien est attesté à partir de la création du premier alphabet slave (le glagolitique) et des premières traductions du grec en vieux-macédonien, dit aussi vieux-slave. Les deux frères saloniciens Cyrille et Méthode, aidés de leurs disciplines, que l’on dit au nombre de deux cents, utilisèrent le parler macédonien de la région de Salonique pour traduire les principaux textes bibliques. Clément et Naum, deux fameux disciples, seront à l’origine de deux grands centres littéraires : l’école littéraire de Preslav (Empire bulgare) et l’école littéraire d’Ohrid, en Macédoine[1], à partir desquels se développeront les Lettres slaves. Le rôle culturel du vieux-macédonien pour les Slaves est souligné par Georges Castellan[2] : « Remarquable apport de la Macédoine à la culture universelle. »

Suite à une insurrection contre Byzance, le tsar Samuel (? - 1014) constitue, en 976 (Xe siècle) un État indépendant des Slaves macédoniens reconnu par le pape Grégoire V. La première capitale de ce Royaume est la ville de Prespa, puis la ville d’Ohrid. Ses frontières encadrent une grande partie de la péninsule balkanique. Après plusieurs années de combat contre Byzance, l’armée de Samuel est battue à la montagne Belasica. Le royaume du tsar Samuel et sa capitale Ohrid, devenue siège épiscopal, sont déjà reconnus comme le berceau de la chrétienté et de l’écriture slave.

Quelques années après la mort de Samuel, son royaume succombe sous la domination de Byzance (1018)[3]. Durant les siècles suivants, le territoire de Macédoine est tour à tour sous la domination de Byzance et des Bulgares, de l’État Serbe du Moyen Âge et, à partir du XIVe siècle, sous celle de l’Empire Ottoman (qui le domina pendant cinq siècles). Malgré ces conditions défavorables, les Macédoniens ont survécu de façon courageuse tout en gardant leur identité et leur langue. La fin de la Seconde Guerre mondiale voit la constitution de la République populaire (puis socialiste) de Macédoine, faisant partie de la Fédération Yougoslave. Suite à la dissolution de l’État Yougoslave, la République de Macédoine devient un pays indépendant (1991).

Les annexions successives de la Macédoine par différents empires seront à l’origine des différentes « rédactions » des manuscrits et, par conséquent, des traductions. En slavistique, seront utilisés les termes : « rédaction bulgare », « rédaction serbe », « rédaction macédonienne », etc. Des textes traduits en langue macédonienne (dans des variantes locales, selon les traducteurs), principalement du grec, ne seront pas toujours en « rédaction macédonienne », car ils dépendront de l’Empire qui sera alors maître du territoire. Cependant, les slavistes sont en mesure de distinguer la langue macédonienne en fonction de caractéristiques linguistiques propres[4].

La plupart des traductions, manuscrits et textes imprimés, se trouvent actuellement en dehors de la Macédoine, pour les raisons historiques évoquées plus haut. La bibliothèque nationale de Belgrade qui, jusqu’en 1941, possédait un grand nombre de manuscrits de Macédoine fut bombardée par les Allemands durant la guerre. C’est un patrimoine inestimable qui fut brûlé et perdu à jamais.

La pratique très répandue du palimpseste a contribué à la disparition des manuscrits en glagolitique. Le palimpseste a permis, cependant, d’attester l’antériorité de l’écriture glagolitique par rapport au cyrillique.

1.1.1. Quel est le premier texte traduit ?

Les premiers textes saints traduits sont les livres liturgiques dont la traduction du grec en vieux slave est réalisée vers 863 par les Frères Cyrille et Méthode.

Le premier texte, destiné à la mission en Grande Moravie, est l’Évangile selon Saint Jean, avec le vers liminaire : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. », un aprakos (évangéliaire), complété par les quatre Évangiles (Mathieu, Marc, Luc, Jean) durant la mission. Précisons que le nom donné au premier alphabet slave, le glagolitique, est formé sur le mot « glagol » qui signifie « verbe ». Nous utilisons toujours ce mot dans sa même signification dans la langue macédonienne actuelle.

Dans les premiers textes, nous avons aussi : le Psautier, les Épîtres, une partie des Offices, les Actes des Apôtres, le Paterikon, le Nomocanon (СТОЈЧЕBСКА-АНТИЌ, 1997, pp. 103-104).

À ces textes s’ajoute la traduction du texte de la Bible, réalisée vers la fin du IXe siècle par Méthode, le frère de Cyrille.

Le premier texte traduit et imprimé en macédonien (populaire) apparaît en 1794 à Venise dans le cadre du Četirijazičnik (Dictionnaire quadrilingue) de Daniil (KОНЕСКИ, 1996 : 27). Il s’agit d’un texte écrit parallèlement au texte grec, répertoriant les équivalents macédoniens des mots grecs.

[Voir plus loin, trois imprimeurs macédoniens : Meletij Makedonski, Stefan Ohridski et Nektarij Bitolski ou Pelagonski qui ont imprimé des textes en macédonien au XVIIe siècle.]

1.1.2. À quelle époque commence-t-on à traduire les textes religieux dans votre langue ?

Le macédonien d’aujourd’hui est une langue slave issue du vieux slave. Le savant français André Vaillant, dans son livre Manuel du vieux slave le nommait même « vieux-macédonien » (VAILLANT, 1948:13). Ayant en vue cet aspect historique, nous pouvons considérer les traductions de Cyrille et Méthode en vieux slave, surtout celles réalisées sur le sol Macédonien, comme une contribution à l’histoire de la traduction des peuples slaves de l’Est et de l’Ouest.

La traduction des textes religieux commence au IXe siècle avec la création de l’alphabet glagolitique et se réalise de façon continue dans les siècles qui suivent cette période. Au début de ce processus de longue date, les textes sont traduits en vieux-slave. Les textes, y compris les traductions datant de la période qui va du IXe au début du XIIe siècle, sont connus sous le nom de textes canoniques (канонски текстови) et la période est celle du vieux slave. La traduction des textes sacrés continue dans la période du slave d’église (début du XIIe siècle) (pour cette périodisation voir УГРИНОВА-СКАЛОВСКА, 1987, p. 12) et se poursuit jusqu’à nos jours.

La codification de la langue macédonienne en 1945 marque une nouvelle étape dans la traduction des textes religieux. Ce processus de traduction est repris après la Seconde Guerre mondiale avec la publication, en 1952, de la traduction en macédonien standard du Saint Évangile. Cette traduction est réalisée et publiée par le Comité d’initiative pour l’organisation de l’Église orthodoxe macédonienne. La traduction du Nouveau Testament en macédonien standard est publiée en 1967 (МИ-АНОВА Енциклопедија, 2006, p. 145).

1.1.3. Date de la première traduction intégrale de la Bible.

La première traduction de la Bible (sans le livre des Macchabées) en vieux-macédonien a été réalisée au IXe siècle par Méthode.

Vera Stojčevska-Antiќ signale l’existence du texte complet de la Bible sous le nom de Bible de Lesnovo, réalisée au XVIe siècle, un exemple rare de texte complet. (СТОЈЧЕBСКА-АНТИЌ, 1997, p. 112).

La première traduction intégrale de la Bible en langue macédonienne standard est faite par Gavril, Archevêque de l’Église orthodoxe macédonienne pour la période 1986-1993 (il est né en 1912 et décédé en 1994, son nom profane est Gueorgui Miloshev). Les rédacteurs des textes bibliques sont trois professeurs de théologie : Methode Gogov, Trajan Mitrevski et Boris Boškoski[5]. Cette première traduction du texte intégral de la Bible est publiée en 1990 par Biblisko združenie na Republika Makedonija (Biblisko Združenie na Republika Makedonija - Skopje, 1990).

Une autre traduction en macédonien de la Bible, faite par d-r Dushan H. Konstantinov est publiée en 1999.

 

1.2.  La pratique de la traduction

Qui traduit ?

1. 2. 1. Qui sont les traducteurs (formation, langue maternelle, statut sociale, quelles sont leurs conditions de travail? Sont-ils reconnus en tant que traducteurs, s’agit-il de leur activité principale ? Etc.) ?

Le début de la pratique de la traduction est lié à l’activité des premiers apôtres slaves saints Cyrille (Constantin) et Méthode, originaires des environs de Thessalonique, qui connaissent bien le parler des Macédoniens slaves de cette région. Ce parler macédonien est à la base du vieux slave et du premier alphabet slave, l’alphabet glagolitique.

C’est surtout la traduction de la Bible (sans le livre des Macchabées) faite par Méthode qui a donné une impulsion particulière à la pratique de la traduction des textes sacrées. Aidé par deux popes scripteurs, Méthode avait traduit en vieux slave, compréhensible dans tous les milieux slaves, trente-trois livres de l’Ancien Testament et vingt-sept du Nouveau Testament (СТОЈЧЕСКА-АНТИЌ, 1998, pp. 40-43). Cette activité a donné naissance à plusieurs foyers de monachisme chrétien. La plupart des traducteurs de cette époque (le Moyen Âge) étaient des moines, des évêques dont la langue maternelle était le vieux slave de l’époque de Cyrille et Méthode. La pratique de la traduction s’effectue dans les centres religieux (églises, monastères) qui, en même temps, étaient des centres éducatifs.

Les premières églises ainsi que les premiers couvents et monastères à caractère éducatif construits hors d’Ohrid sont également nombreux. Parmi les plus connus on trouve le monastère de Nerezi, près de Skopje (XIIe siècle), celui du légendaire Roi Marko à quelques kilomètres de Skopje, l’église de Kurbinovo (1191) à proximité de Bitola, sur la montagne de Pelister, etc. On y étudiait la philologie, la peinture, mais aussi la calligraphie afin de satisfaire aux besoins des Centres d’écriture (scriptoriums/scriptoria) où les scripteurs formés copiaient les textes sacrés.

Sous la direction de Clément et de Naum (IXe-Xe s.), la ville d’Ohrid voit la création d’un centre éducatif et littéraire, nommé École littéraire d’Ohrid (créé en 886), important pour la propagation du christianisme dans le milieu slave. On y compte environs 3500 élèves-prêtres qualifiés pour traduire et enseigner en vieux slave.

Sont attribués à l’école littéraire d’Ohrid les manuscrits en glagolitique et cyrillique suivants : - glagolitique : l’Assemanianus (évangéliaire), le Psautier du Sinaï, l’Eucologe du Sinaï, etc. – cyrillique : l’Évangile de Dobromir, le Triode de Bitola, l’Apôtre d’Ohrid, le Psautier de Bologne.

Les dernières découvertes de manuscrits glagolitiques au monastère Sainte Catherine du Sinaï viennent attester de l’importance de l’activité de l’École littéraire d’Ohrid : la fin du Psautier du Sinaï, de nouveaux feuillets de l’Eucologe du Sinaï et trois manuscrits jusqu’alors inconnus : un Psautier intégralement conservé, un Missel en assez mauvais état et un fragment d’un petit Ménologe (tropologij / mal minej).

En Macédoine, comme l’a montré Radmila Ougrinova-Skalovska, on trouvera des traces de glagolitique dans les textes en cyrillique jusqu’au XIIIe siècle comme, par exemple, ces parties de manuscrits très connus rédigées en glagolitique dans Triode de Bitola, L’Apôtre d’Ohrid, Psautier de Bologne, etc.

Konstantin de Bregalnica (fin IXe-début Xe), un des disciples des frères Cyrille et Méthode, a une grande activité de traducteur. Il a traduit, en particulier, du grec en vieux slave les œuvres d’Athanase d’Alexandrie Quatre traités contre les Ariens.

Jean l’Exarque, est l’un des premiers traducteurs du grec en langue slave.

Quelques siècles plus tard sont fondées l’École littéraire de Kratovo, très active entre le XIIe et le XIVe siècle, et le Centre littéraire de Lesnovo, fondé en 1341. Stanislav, l’un des copistes du monastère de Lesnovo, a rédigé au XIVe siècle des traductions dans deux rédactions : la « rédaction macédonienne » et la « rédaction serbe ». Un des traducteurs du XIVe siècle qui travaillait au monastère Joakim Osogovski (École de Kratovo), était le moine Isaïe de Serres (Isaïa Serski), devenu un traducteur connu. Dans la postface de la traduction de l’œuvre de Pseudo-Denys l’Aréopagite, réalisée par Isaïe Serres en 1371 à la demande du métropolite Théodose de Serres, dans une première partie, le traducteur développe les difficultés à traduire du grec en langue slave. La riche langue grecque, ayant bénéficié et bénéficiant constamment des apports des nombreux écrivains et philosophes, est opposée à la langue slave, non moins valable, mais qui n’est pas enrichie de la même manière par d’illustres hommes. Puis, il rend hommage à son commanditaire. Ce texte apporte de précieuses données sur les difficultés de la traduction du grec en slave, ce qui concerne pour ainsi dire toute la littérature du Moyen Âge macédonien. Dans une deuxième partie Isaïe de Serres décrit la tragédie de la population chrétienne de la Macédoine, après la bataille de la Maritsa en 1371, lorsque les Balkans tombent sous la domination ottomane. Ce texte a été traduit en langue macédonienne standard par M. Georguievski[6], en 1976.

Parmi les centres médiévaux se distingue le monastère à Slepce, construit en 1200, qui possède, dès cette époque, une riche bibliothèque avec un fonds considérable de livres rares. Pendant l’époque turque, une riche activité littéraire y est réalisée par Vissarion Debarski (de Debar). Les sujets de son œuvre se distinguent par leur ton polémique et dogmatique sur les sujets propres à la Bible et aux textes liturgiques. Le recueil de Vissarion comporte une traduction en langue slave des traités de Grigori à caractère polémique contre les Latins et une autre traduction de l’épître de Joan Damaskin adressé à Kosma Majumski. Ici se trouve également la Bogoslovie de Joan Damaskin –  traduction datant du XIVe siècle, alors qu’il en existait une autre faite par Joan Egzarh (Jean l’Exarque ixe-xe s.) (ПОП-АТАНАСОВ, ВЕЛЕВ, ЈАКИМОВСКА-ТОШИЌ, 1997, pp. 326-328).

Évoquons les noms de quelques hommes de lettres qui exerçaient leur activité dans ces centres : Nikola Brata, Oliver Prilepski, Stanislav Lesnovski, Grigorij Akindin, Radoslav Skopcik, Dobre Radov, Dimitar Zograf, Arsenij Solunski (ВЕЛЕВ, 1997, p. 132). Bien que la traduction ne fût pas leur activité principale et unique, ils sont reconnus comme traducteurs assurant par leur activité l’expansion du christianisme.

Que traduit-on ?

1. 2. 2. Quels types de textes religieux traduit-on ?

La première pratique de la traduction de textes sacrés en Macédoine est liée aux besoins de la mission des Frères Cyrille et Méthode en Moravie. Après avoir créé l’alphabet glagolitique, Constantin (Cyrille) se mit à traduire le texte de l’Évangile selon Jean (Jovan) du grec en slave, puis à faire un choix de textes de Discours, de Louanges et de Livres liturgiques. Cyrille et son frère Méthode traduisent également les textes des Épîtres des Apôtres, des ainsi que le texte de Actes des Apôtres (Апостол). Méthode s’est occupé, plus particulièrement, de la traduction de la Bible de même que celle du Nomocanon et du Livre des pères (Kniga za otcite) (УГРИНОВА-СКАЛОВСКА, 1987, p.19).

1. 2. 3. Traduit-on à la même époque des textes profanes ?

Toute la production littéraire du Moyen Âge traite de sujets chrétiens à caractère moraux. Mais, en même temps, l’attention du public du XIVe siècle est attirée par des genres nouveaux tels les romans, les contes et nouvelles venus des civilisations de l’est et de l’ouest. Parmi les plus connus et les plus populaires sont les romans : Alexandrida (le roman d’Alexandre, traduit du grec en plusieurs langues des Slaves du Sud), le Roman de Troie connu par l’intermédiaire de la Chronique grecque de Jovan Malala datant du vie siècle. Cette Chronique est traduite par le prêtre Grigori au Xe siècle. La version abrégée du Roman de Troie (Troianida), traduite du grec, se retrouve dans les manuscrits cyrilliques alors que sa version longue se retrouve non seulement dans les manuscrits cyrilliques, mais aussi dans les manuscrits glagolitiques (СТОЈЧЕСКА-АНТИЌ, 1997, p. 341). Une variante de la version abrégée figure dans le manuscrit de Slavko de Kratovo (СТОЈЧЕСКА-АНТИЌ, 1997, p. 343).

Le roman Tristan et Iseult, ou plutôt l’histoire de l’amour tragique de ces deux personnages, est connu grâce aux diverses versions de ce texte effectuées durant la deuxième moitie du XIIe siècle. Les variantes les plus connues sont celles de Thomas (de 1170) et de Béroul (de 1180). On pense que le texte du roman tirait ses origines d’Angleterre d’où il se répand en France et en Italie. C’est probablement par l’intermédiaire du milieu croate que ce texte pénètre sur le sol macédonien. Il n’y a pas de traces écrites mais le motif de l’amour tragique de Tristan et Iseult se retrouve dans la création populaire (ВЕЛЕВ 1996, p. 278).

Dans la création populaire, on retrouve également des traces de l’histoire de Varlaam et Joseph, dont la traduction en slave est réalisée au XIIIe siècle (ВЕЛЕВ 1996, p. 279), des traces du conte sur Théophane l’aubergiste connu sur le sol macédonien depuis les XIIIe-XIVe siècles.

Il est à noter que dans la première transcription du Recueil de Tikveš (Tikveški zbornik), de la fin du XVe siècle, figurent Les Contes d’Ésope, écrits par l’écrivain Byzantin Maksim Planud entre 1260 et 1310 (СТОЈЧЕСКА-АНТИЌ, 1997, p. 357).

Le motif du conte La jeune fille sans mains est bien connu en Macédoine, même si nous ne disposons que de copies datant des XVIIIe et XIXe siècles. Le motif du conte Les douze rêves du roi Chakich est connu à partir d’un manuscrit du XVe siècle. Le conte Le très sage Akhir, d’origine assyrienne, est connu d’après un manuscrit en glagolitique de 1468 et un manuscrit en cyrillique de 1520. Il existe un certain lien entre ce texte et les Fables d’Ésope (СТОЈЧЕСКА-АНТИЌ, 1997, pp. 359-362).

Le professeur Ciro Gianelli a découvert, dans l’église Saint Pierre de Rome, un manuscrit présentant un Lexique macédonien du XVIe siècle. Ce lexique bilingue grec/dialecte macédonien de Kostur, comporte 301 entrées, mots et expressions ainsi que deux chants macédoniens. Il a été publié par Ciro Gianelli et André Vaillant, à l’Institut d’Études Slaves, en 1958.

Les premières traductions en vieux-macédonien sont aussi des recueils de textes divers (dès le Xe siècle), dont des textes religieux mais aussi apocryphes et profanes (textes bibliques, hagiographies, traités, slovo, apocryphes, récits, romans, textes historiques, etc.). Les premiers recueils sont des compilations de textes littéraires byzantins et ne sont pas très connus des populations. C’est à partir du XVe siècle, sous l’Empire ottoman, que ce genre se développe chez les Slaves du sud. Aux XVIe et XVIIe siècles, ils revêtent un véritable aspect encyclopédique, d’où leur dénomination : « Recueil de mélanges » (мешовити зборници), sortes d’anthologies. La tradition du recueil durera jusqu’au XIXe siècle. Ces recueils répondaient aux intérêts et besoins littéraires de leur époque. Ils étaient parfois réalisés à la demande d’hommes d’Église cultivés. Certains auteurs reproduisent scrupuleusement les textes originaux et créent de véritables anthologies, d’autres interviennent davantage en choisissant les textes selon les besoins et le public auquel ils sont destinés. À la fin du XVIIe siècle, les contenus des recueils sont moins riches, il y a moins de textes, la langue est plus populaire de même que les caractéristiques stylistiques. Quelques recueils : Le Recueil de Dragolev, en rédaction serbe, réalisé sur un prototype macédonien d’un anthologiste macédonien anonyme du XIe siècle. Le Recueil de Tikveš (XVe s.), rédigé avec un système orthographique serbe, mais avec de nombreuses caractéristiques linguistiques de la langue macédonienne. Ce recueil a été traduit en langue macédonienne standard par Blaže Koneski, en 1987. Dans ces recueils, nous trouvons des caractéristiques linguistiques croisées : traces de caractéristiques linguistiques macédoniennes, ukrainiennes, grecques, etc. qui sont probablement le résultat du rôle des monastères du Mont Athos où se rencontraient et partageaient des moments de vie commune des moines de différentes origines. Un recueil du XIXe siècle fut rédigé par l’instituteur Stanko avec des éléments des parlers macédoniens de l’est[7].

Les récits de voyages (Patopis) sont un autre genre de textes du Moyen Âge. Le récit de voyage en Palestine écrit par Arsenia de Salonique (XIVe siècle) a été traduit en langue macédonienne contemporaine par M. Georgievski, en 1977. Aleksandre Matkovski a rassemblé les récits de voyages de 1371 à 1777 (commençant par le texte de Isaïe de Serres de 1371) et les a publiés, traduits en langue macédonienne contemporaine, en 1991.

Des chroniques et autres textes historiques du Moyen Âge (hroniki, letopis) ont été traduits du grec en vieux-slave. Il s’agit, pour la plupart, de textes historiques byzantins : la Chronique de Georges Armatol, écrite probablement à Salonique au ixe siècle, dont on a trouvé des traductions en vieux-slave du XIe siècle, la Chronique de Jean Zonaras, terminée au XIIe siècle. Des parties importantes du Paralipomènes furent traduites, à la demande de Stefan Lazarević, par Grigorij, monarque du monastère d’Hilendar, au XVe siècle. Nous pouvons citer aussi la Chronique de Georges Sinkel (écrite au IXe siècle), la Chronique de Constantin Manassès (écrite au XIIe siècle), la Chronique de Siméon Metaphraste traduite au XIVe siècle, les traductions d’Isaïe de Serres des œuvres de Pseudo-Denys l’Aréopagite, du grec en slave, du XIVe siècle, dont on a recensé environ soixante dix-huit copies, la Chronique moldave du XIVe siècle, traduite en une langue slave d’église avec des éléments linguistiques révélant manifestement une rédaction macédonienne. Les siècles suivants produisent d’autres traductions de chroniques. Nous citerons la Chronique de Štip, de la seconde moitié du XIXe siècle, établie par Koce Barutčinski, Une petite histoire sacrée avec catéchisme traduite du russe en macédonien, en parler de Prilep, par Ilija Hristev en 1859. Les épîtres, le genre épistolaire, sont aussi répandus au Moyen Âge. À Salonique, en 1849, a été rédigée une épître du patriarcat de Tsarigrad à des chrétiens de Débar, en langues grecque et macédonienne populaire, présentées en deux colonnes. L’intérêt de ces chroniques et autres textes historiques réside dans la description des événements historiques liés aux Macédoniens. Aussi, outre l’intérêt des traductions pour l’histoire de la langue macédonienne, avons-nous la possibilité de suivre l’histoire de la Macédoine et des Macédoniens à travers les écrits historiques traduits[8].

Les apocryphes qui sont actuellement conservés sont des traductions du grec ou ont été recopiés ensuite à partir de traductions plus anciennes par des gens d’Église ou des fidèles. Dès le Xe siècle, de nombreux apocryphes sont traduits du grec en vieux-macédonien. C’est surtout à partir du XIVe siècle que les textes apocryphes occupent une place particulière. Ils gagnent de plus en plus les couches populaires, et cette popularité se maintiendra jusqu’au XIXe siècle[9].

Comment traduit-on ?

1.2.4. A partir de quel texte-source ?

Les textes-sources sont le plus souvent des textes à caractère religieux dont l’original est écrit en langue grecque.

1.2.5. De quelle(s) langue(s) traduit-on ?

Les textes sacrés traduits au Moyen Âge sont le plus souvent traduits du grec, mais il existe des textes à caractère religieux qui datent du XIXe siècle et qui représentent une traduction de la langue serbe.

1.2.6. Passe-t-on par une langue relais ?

La traduction des textes sacrés se réalisait le plus souvent directement de la langue grecque, mais il y a des cas où la langue serbe a servi de relais pour la traduction de textes à caractère religieux. C’est le cas du recueil Miracles de la Vierge (Cudesa presvjatija Bogorodici) dont l’original est rédigé en grec par l’auteur Agapie Landos de Crète. Ce texte a été, tout d’abord, traduit du grec en serbe par Vikentie Rakić, puis en macédonien populaire par Joakim Krcoski (ПОЛЕНАКОВИЌ, 1970, pp. 87-88).

1.2.7. Si oui, celle-ci est-elle orale ou écrite ?

La langue serbe est une langue écrite.

1. 2. 8. Les traducteurs privilégient-ils un mode de traduire littéral pour les textes religieux ?

La traduction des textes religieux est fortement influencée par la tradition byzantine du Moyen Âge et reflète les courants sociaux, spirituels et culturels de l’époque sur l’actuel territoire de Macédoine. Les systèmes méthodologiques et structuraux de l’expression écrite sont conformes à la tradition byzantine. Même dans la traduction des structures de la langue-source on respecte le modèle idéologique général. L’acte de traduire reflète l’image du monde chrétien qui doit être reconnu comme tel dans tous les milieux chrétiens. En représentant un mécanisme de rétrospection de l’idéologie chrétienne, les textes traduits contribuent directement à la naissance du sentiment religieux, élevé au niveau d’une philosophie globale de vie. Ils représentent l’un des moyens importants pour véhiculer les idées et les interprétations culturelles de l’époque ainsi que les points de vue philosophiques sur la langue. La traduction, en tant qu’activité, n’échappe pas à ces idées et interprétations. C’est pour cette raison que la plupart des traducteurs médiévaux privilégient une approche littérale dans la traduction des textes religieux.

La traduction se réalise selon des principes généraux déterminés au préalable selon lesquels les livres sacrés, les textes de la Bible, les liturgies et bien d’autres livres à caractère religieux doivent respecter entièrement le principe de la fidélité à la forme de l’original et privilégier le mode de traduire littéral. À chaque mot de l’original grec, par exemple, correspond un mot slave. Cette fidélité à la forme touche parfois aux extrêmes car mêmes les morphèmes ont le statut d’unités structurelles et doivent être rendues dans le texte traduit, qu’il s’agisse d’un texte poétique ou d’un texte en prose. Pour chaque préfixe ou suffixe grecs on essaie de trouver un correspondant slave. D’une façon générale, le texte traduit en vieux slave devrait comprendre toutes les catégories grammaticales contenues dans le texte-source. Soucieux de satisfaire à ce principe rigide, les traducteurs ont très souvent recours aux structures grammaticales de la langue source. Au cas où il n’y aurait aucun correspondant slave pour un mot grec, on employait deux mots slaves traduisant le sémantisme du mot grec (ВЕЛЕВ, 1996: 81-90).

Pourtant, il est important d’évoquer ici les réflexions de saint Méthode sur la traduction des textes sacrés, exposées dans son Traité sur la traduction, suite à sa traduction du Nouveau Testament. À une époque où la traduction littérale est le seul mode de traduction proposé pour la traduction des livres saints, Méthode favorise dans son Traité l’approche sémantique du texte original et non pas l’approche formelle (АРСОВА-НИКОЛИЌ, 1999, pp.20-22).

« La question de la forme qu’allaient prendre la langue écrite et l’alphabet slave était fondamentale à cette époque. Pour Clément et l’École littéraire d’Ohrid, il s’agissait d’adopter la forme de la langue slave qu’avaient utilisée les frères Cyrille et Méthode en préservant ses traits grammaticaux et lexicaux ; par conséquent, de rester proche de la norme cyrillo-méthodienne qui se manifeste par le maintien d’éléments grammaticaux plus archaïques et l’utilisation d’un lexique archaïque comprenant d’anciens emprunts grecs. On continue à se baser sur les principes fondamentaux de l’École de Grande Moravie, c’est-à-dire à créer une expression littéraire fonctionnelle et stylistiquement adéquate en préservant la qualité esthétique de l’original, tout en respectant la justesse et la compréhension de la traduction. Cela se présente dans le rapport relativement libre vis-à-vis des originaux grecs, où l’on privilégie la transmission du contenu tout en veillant à rester en accord avec la leçon chrétienne qui demande que le texte soit transmis en une langue accessible, à la portée de tous, comme l’avaient formulé Cyrille et Méthode pour la traduction de l’Évangile et de la Bible.

L’École, avec son centre (Ohrid), se situait en Macédoine et il était tout à fait logique d’utiliser le vieux macédonien puisqu’il était basé sur les parlers des Slaves de Macédoine. Le choix de l’alphabet n’était pas définitif non plus. Les Slaves se trouvant en contact direct avec Byzance avaient pris l’habitude d’écrire le slave avec des lettres grecques. L’École littéraire d’Ohrid avait opté pour l’alphabet slave créé par Cyrille, le glagolitique, et demeura fidèle à cette tradition. C’est pourquoi les textes les plus anciens d’origine macédonienne, datant de la fin du Xe et du début du XIe siècles, sont écrits en caractères glagolitiques.

Tout autre était le choix de l’École de Preslav, capitale de l’État bulgare. Le grec étant la langue officielle de l’État bulgare jusqu’en 893 et cela depuis deux siècles, il était nécessaire de créer un alphabet qui ne soit pas trop différent de celui du grec, ce qui facilitait son adoption et favorisait une slavisation plus rapide de la population. Pour former l’alphabet cyrillique, on a remplacé par des majuscules grecques (onciales) les lettres correspondantes de l’alphabet glagolitique ; n’ont été gardées de la glagolite que les lettres qui n’ont pas leur équivalent dans l’alphabet grec. Selon Francis Conte, il ne s’agit donc que d’un « calque » : « La ressemblance est si frappante entre l’écriture grecque du Xe siècle et les premiers manuscrits écrits en Bulgarie au moyen de l’alphabet cyrillique, qu’un simple coup d’œil sur un texte grec et sur un des premiers textes slaves ne permet pas de dire dans quelle langue l’un ou l’autre est écrit. »

La langue slave, ainsi que l’écriture cyrillique, ne prendront leur essor en Bulgarie qu’avec l’arrivée des disciples des frères Cyrille et Méthode. Cela se produira durant les premières années du règne de l’empereur Siméon et, d’une certaine manière, avec l’intervention de l’État.

Toutefois ce changement d’alphabet, et plus précisément la création de ce nouvel alphabet, n’aurait pas pu se faire sans l’existence préalable de l’alphabet glagolitique. L’introduction de lettres nouvelles qui n’existaient pas en grec montre que l’on se fondait sur l’alphabet glagolitique pour créer le nouvel alphabet.

« Au sein de l’École de Preslav se manifestent très vite des changements notoires par rapport à l’ancienne tradition. Un nouvel abord de la traduction se construit : établir un rapport le plus proche possible de l’original grec. Cela se traduit par un calque de la structure syntaxique et de l’expression. On traduit les anciens emprunts grecs. » (Frosa Pejoska-Bouchereau, 2003, pp. 249-262.)

1.2. 9. Comment justifient-ils leur pratique ?

La pratique de la traduction littérale est justifiée par le caractère saint des textes religieux. On traduit de façon littérale afin de ne pas nuire au caractère sacré des textes.

1.2.10. Si on traduit aussi des textes profanes à la même époque, a-t-on le même mode de traduire ?

La traduction des textes profanes, au Moyen Âge, se réalise selon un mode moins rigide que celui des textes sacrés. Le traducteur se donne la liberté d’introduire ses propres commentaires, de compléter ou de raccourcir certains épisodes ou descriptions du texte original. Une telle approche caractérise la traduction des ouvrages historiques, des traités philosophiques, des ouvrages à thématique didactique, des textes littéraires, c’est-à-dire des textes qui ne sont pas considérés comme des textes sacrés. Les scripteurs des centres littéraires médiévaux, dont l’activité consistait à recopier différents manuscrits, laissent, tout comme les traducteurs, une trace personnelle en intervenant au niveau de la langue et en introduisant les traits linguistiques propres à leur parler ou à l’école littéraire à laquelle ils appartiennent.

 

1.3. Le rôle culturel de la traduction

La traduction et la langue

1.3.1. Statut de la langue écrite à l’époque (existe-t-il une norme unique pour cette langue) ?

Période du iXe au XIie siècles : Le vieux slave, langue dans laquelle sont traduits les livres saints au IXe siècle, est considérée comme la plus ancienne langue littéraire slave (УГРИНОВА-СКАЛОВСКА, 1987, p. 11). L’apparition de cette langue est directement liée à l’adoption du christianisme par les peuples Slaves. Le vieux slave a pour base le parler des slaves macédoniens des environs de Salonique. Le système phonétique de cette langue, qui n’a pas été normalisée à cette époque, a servi de base à la création du premier alphabet slave, l’alphabet glagolitique.

Période du XIIe au XIXe siècles : La traduction des textes saints se réalise en slave d’église dans lequel pénètrent des éléments des parlers populaires qui contribuent fortement à son évolution. Cette langue de statut populaire n’avait pas de norme unique.

Période de la deuxième moitié du XXe siècle : La traduction des textes religieux se réalise en langue macédonienne standard. Cette langue est normalisée.

1.3.2. Quel est le rôle de ces traductions dans le développement de la langue littéraire ?

Les traductions des textes saints, tout comme les manuscrits copiés des textes religieux, représentent une source pour l’étude de l’évolution de la langue macédonienne. Les changements qui se réalisent dans les parlers populaires macédoniens, entre le Xe et le XIIe siècle se reflètent dans ces textes témoignant du processus de la diversification du vieux slave. Les textes de provenance macédonienne, tels L’Évangile d’Asseman (Asemanovo Evangelie), Le Psautier de Sinaï (Sinajski Psaltir et Sinajski euhologij), auxquels s’ajoute également l’Évangile de Zographe (Zografsko Evangelie) partagent tous un trait commun. Ce trait commun est le passage des semi-voyelles ъ et ь en o et e dans les syllabes fermées : ъ>o et de ь>e (сънъ>сон, дьнь>ден). Ce trait est caractéristique de la langue macédonienne d’aujourd’hui. (КОНЕСКИ, 1996, p.12).

À partir du XIVe siècle la variante serbe du vieux slave se fait sentir en raison de l’appartenance de la région macédonienne à l’État Serbe de l’époque. À la même époque, la région des Balkans tombe sous la domination de l’Empire Ottoman. La langue s’éloigne progressivement de sa base vieux slave et les traductions en slave d’église ouvrent la porte aux éléments de la langue populaire. C’est un processus qui se déroule entre le XVIe et le XIXe siècle, favorisant l’emploi de la langue populaire macédonienne dans les textes et jouant un rôle important dans l’évolution de la langue littéraire macédonienne.

Au XVIe siècle, en Macédoine, les textes de l’auteur byzantin Damaskin Studit (Damaskinos Stouditis), écrits en grec, sont très populaires (Thesaurus, publié en 1558 à Venise). Immédiatement après la publication du texte original, ils furent traduits dans de nombreuses langues dont le macédonien. Grigorij (originaire de la Macédoine du sud), l’épiscope de Pélagonie, a traduit en macédonien les textes de Damskin Studit, entre 1560 et 1580. Ces textes se caractérisent par l’utilisation de la langue vernaculaire grecque, ce que feront également les traducteurs en introduisant des éléments des parlers populaires. Ces textes représentent une transition entre la littérature religieuse et la littérature profane ainsi qu’une transition entre la langue littéraire religieuse et les langues vernaculaires. D’où leur popularité jusqu’au XIXe siècle. Les spécialistes des « damaskini » louent particulièrement les traductions de Grigorij, homme instruit et cultivé, qui possédait une parfaite connaissance du grec et du macédonien et qui adhérait aux principes de Damskin Studit. Les premières traductions des « damaskini » étaient faites en langue slave d’église avec l’introduction de quelques éléments de la langue populaire puis elles se faisaient en parler populaire, ce qui permet de suivre l’évolution de la langue macédonienne à partir du XVIe siècle. Les premières traductions se composent exclusivement de slovo de Damaskin Studit mais, progressivement, les traducteurs introduisent des slovo écrits par d’autres auteurs et, dans une troisième étape, finissent par appeler « damaskini » des recueils qui ne contiennent pas un seul slovo de Damaskin Studit[10], le nom du premier auteur étant devenu le nom d’un « genre ». Au XVIe siècle, en Macédoine, domine la « rédaction serbe », mais progressivement, sous l’influence des « damaskini », les traducteurs introduisent des éléments phonétiques et lexicaux de la langue populaire locale, ce qui donne naissance à la « rédaction mixte » ou « rédaction serbe avec macédonismes ». Au milieu du XVIIIe siècle, Josif Bradati, de la région de Štip, a rédigé quatre manuscrits, des « damaskini », en langue populaire macédonienne avec une influence de la langue serbe et de la langue slave d’église, avec, entre autre, des slovo de Damaskin Studit et de Jean Chrysostome. Ces « damaskini » se distinguent par le travail « d’adaptation » des textes aux lecteurs de Macédoine qu’y pratique Bradati.

Vers le milieu du XVIIIe siècle, surtout après 1767, l’influence grecque devient très forte dans les écoles et dans les églises. L’alphavit grec devient obligatoire et pour faire apprendre la langue grecque aux élèves, on rédige des dictionnaires grecs comportant un parallèle traduit en macédonien populaire. Ainsi en va-t-il du Dictionnaire quadrilingue de Daniil (1794 et 1802) dont la traduction du parallèle macédonien a probablement été réalisée par Stephan, évêque d’Ohrid. Ce parallèle reflète le dialecte d’Ohrid (КОНЕСКИ, 1996: 28) et représente une source importante pour l’étude diachronique de la dialectologie macédonienne. Une valeur similaire présente la traduction connue sous le nom de Konikovsko evangelie, réalisée par Pavel Bozigropski en parler de Voden, et publiée en 1852 à Thessalonique (КОНЕСКИ, 1996, p. 29).

Toutes ces traductions sont une contribution particulière à l'enrichissement du vocabulaire de la langue macédonienne populaire, qui a servi de base au développement de la langue littéraire.

1. 3. 3. Quelles sont les grandes phases de retraduction des textes religieux en fonction de l’évolution de la langue ?

La période du XIVe siècle qui succède à la période de l’effondrement de l’Empire Byzantin est une période importante de retraduction des textes religieux en fonction de l’évolution de la langue.

Dans les « écoles littéraires » se trouvant sur le sol de l'actuelle Macédoine, les hommes de lettres ayant une éducation culturelle, religieuse et littéraire plus approfondie sont devenus considérablement plus nombreux. Les tendances culturelles et linguistiques de l’époque imposent la retraduction des textes religieux, notamment des textes liturgiques, en raison des nombreuses incorrections linguistiques et sémantiques survenues et superposées lors des transcriptions successives au fil des siècles.

Une campagne connue sous le nom de « correction des livres » (“поправање на книгите“) (ВЕЛЕВ, 1997, p. 131) commence au tournant des XIIIe et XIVe siècles. Présente tout d’abord dans la littérature Byzantine, elle se répand très vite dans les littératures des Slaves du Sud. Une telle campagne s’explique par la tendance à purger la langue de l’influence pro-latine et à réviser certaines dérogations aux normes traditionnelles. Une égalisation des textes liturgiques est également jugée nécessaire afin d’éliminer la diversité des représentations religieuses et philosophiques reflétant les confrontations idéologiques de l’époque. La « correction des livres » suppose aussi la retraduction des livres religieux selon des principes normatifs sévères. Chaque traducteur devait avoir des connaissances approfondies de la langue source et de la langue cible ainsi qu’une connaissance des réformes proposées dans l’orthographe.

La traduction et la société

1.3.4. Qui sont les commanditaires ? Les destinataires ?

Période du IXe siècle. Vers 862 ou 863, le prince Rastilav de Grande Moravie demande à L’Empereur byzantin Michael III de l’aider et de lui envoyer quelqu’un pour enseigner le christianisme en langue slave aux peuples slaves de Moravie. À cette époque, le vieux slave présente une unité suffisante pour qu’un parler du Sud européen soit compris par les Slaves de l’Europe centrale. C’est Constantin qui fut choisi (qui a pris le nom de Cyrille) et qui, accompagné de son frère Méthode, partit en Moravie. Avant leur départ, Cyrille, dit le Philosophe, linguiste passionné par les sciences philologiques, créa le premier alphabet slave, l’alphabet glagolitique. Son frère Méthode, afin d’enseigner le christianisme en langue slave en Moravie, traduisit les livres liturgiques du grec en vieux slave, en employant quelques moravismes du parler slave local, ainsi que des calques du grec pour des expressions abstraites dont abondaient les textes sacrés (УГРИНОВА-СКАЛОВСКА, 1987, p. 19).

Période de la deuxième moitié du XXe siècle. Aussitôt après la libération du peuple macédonien en 1945, le Comité d’initiative pour l’organisation de l’Église orthodoxe macédonienne (МПЦ) fait publier, en 1952, le texte du saint Évangile en macédonien standard. Une traduction en langue macédonienne standard du texte du Nouveau Testament, réalisée pour les besoins de l’Église et destinée aux lecteurs macédoniens, est publiée en 1967. L’Église orthodoxe macédonienne donne son approbation à la publication de ce texte.

1.3.5. Diffusion des traductions (mode de reproduction, ampleur de la diffusion)

Période du IXe au XVIIIe siècle. Les traductions des textes religieux parues dans l’aire macédonienne lors de cette période sont copiées à la main et diffusées dans les régions européennes peuplées par les Slaves.

L’ouverture de la première imprimerie des Slaves du sud en 1493, à Cetinje, permit une plus large diffusion des textes traduits. Au XVIe siècle, non loin de la Macédoine, s’ouvrirent d’autres imprimeries (en 1539, au monastère Gračanica ; entre 1544 et 1577, dans le monastère Mileševo, deux imprimeries ; dans le monastère Rujno, en 1537 ; dans l’église Mrkšina, en 1562 ; l’imprimerie de Belgrade, en 1542). Le premier imprimeur macédonien, Jakov, travaille dans l’imprimerie de Božidar Vukoviќ, à Venise, qui fonctionne de 1520-1597 et qui imprime de nombreux livres slaves sacrés vendus, entre autre, dans la première librairie macédonienne de Kara Trifun à Skopje.

Les livres imprimés dans ces imprimeries, où étaient utilisées la langue et l’orthographe serbes, eurent une grande influence sur le développement des lettres et de la culture en Macédoine. La « rédaction serbe » s’intensifia. De plus, le nombre de livres imprimés étant insuffisant, les copistes recopiaient ces mêmes livres, ce qui ne faisait qu’accroître l’importance de la « rédaction serbe ». Toutefois, parallèlement, nous avons des manuscrits en « rédaction macédonienne » ou « rédaction mixte » sous l’influence des « damaskini ».

Au milieu du XVIIe siècle, nous avons trois imprimeurs macédoniens : Meletij Makedonski, Stefan Ohridski et Nektarij Bitolski ou Pelagonski qui ont développé une grande activité d’impression, à Dolgo Pole et au monastère Govora, en imprimant des livres slaves pour les différents peuples slaves, dont les Macédoniens. Leurs livres sont richement enluminées et de composition soignée.

Aux XVIIIe et XIXe siècles pénètrent les livres imprimés russes. Ces livres vont servir d’arme spirituelle dans la lutte contre l’Église grecque et sa politique d’hellénisation et contre les phanariotes. Les copistes les recopient pour pallier au manque de livres imprimés et diffusent de la sorte la langue slave d’église et l’orthographe russes en Macédoine, parallèlement la « rédaction serbe » continue à être pratiquée. Des éléments de la langue macédonienne sont cependant présents dans ces rédactions.

Le développement de l’imprimerie ne met pas fin à l’activité des copistes dans les lieux plus éloignés des villes ou dans les monastères à forte tradition littéraire. Au XVIIe et, surtout, au XVIIIe siècles, les religieux des monastères ouvrent des « cellules-école » où sont instruits des enfants de citadins aisés. C’était aussi une source de production d’œuvres sacrées et profanes par les maîtres et les élèves, qui se montrent brillants.

Période du XXe siècle. Les traductions des textes saints en macédonien sont imprimées et rééditées plusieurs fois. Ces éditions sont diffusées dans les pays du monde où vit la diaspora macédonienne.

1.3.6. Réception critique éventuelle, débats suscités par les traductions ?

Les traductions des livres saints, réalisées par les frères saints Cyrille et Méthode, apparaissent à une époque où seuls le latin, le grec et l’hébreu sont considérés comme langues liturgiques. Le vieux slave ne reçoit ce statut qu’après l’intervention de Cyrille auprès des prêtres représentants de ces trois langues à Venise, et auprès du Pape à Rome. En luttant pour la reconnaissance du vieux slave, Cyrille expose, sur un ton polémique, son idée que les peuples slaves ont, eux aussi, besoin d’une écriture et d’une langue compréhensible par tous. Les Légendes pannoniennes, biographies des deux frères rédigées par leurs disciples, décrivent cet événement. En voici une citation : « Le Seigneur n’envoie-t-il pas la pluie pour nous tous ? Le soleil ne brille-t-il pour tout le monde ? Ne respirons-nous pas tous le même air ? N’avez-vous pas honte de ne reconnaître que trois langues et de laisser vivre les autres peuples dans le silence et dans l’obscurité ? » (traduction I. B.) Le Pape Adrien II donne son accord pour l’usage des livres traduits et du vieux slave comme langue liturgique, en nommant Cyrille évêque.

1.3.7. Des retraductions interviennent-elles pour des raisons idéologiques et/ou religieuses ?

Les retraductions sont réalisées en raison de l’évolution de la langue au fil du temps. Au XIXe siècle, les traductions en langue « populaire ou régionale » des textes bibliques s’inscrivent dans un travail d’éducation religieuse, mais aussi d’opposition à l’hellénisation intensive. Cette période de renaissance est liée à ce phénomène d’antagonisme entre les Églises. Le système des millets de l’Empire ottoman privilégiait la définition des individus en fonction de leur rattachement à une Église et non à une communauté ethnique. Avec la libération des peuples balkaniques et la création des nouveaux États ce processus se transformera en une définition de l’individu en fonction de son appartenance étatique-nationale. L’Église grecque, dont dépendaient la plupart des chrétiens orthodoxes, par la pratique de la langue et  l’écriture grecques, empêchait la connaissance, l’usage et le développement du système orthographique cyrillique slave. De nombreux religieux locaux ne connaissaient pas l’écriture cyrillique, aussi transcrivaient-ils les traductions du grec en langue macédonienne vernaculaire en alphabet grec, en respectant rigoureusement la notation des accents. D’autres, pour échapper à la censure, utilisaient aussi le système orthographique grec.

De cette période, nous avons une traduction d’Arsenij, égoumène du monastère Bigorski, datée 1838, qui se présente sous forme de deux colonnes : dans la colonne de gauche, le texte en grec ; dans la colonne de droite, le texte en macédonien (parler mijak). Stojan Trpkov traduit l’Évangile (chapitre 1) en dialecte de Voden, vers 1840. Cette traduction possède deux versions, l’une en alphabet grec, l’autre en cyrillique. En 1852, l’archimandrite Paul Božigrobski, né dans le village Konikovo (Enidževardar), remet sa traduction de l’Évangile de Konikovo (Évangile du dimanche) à l’imprimerie de Dingov Držilović de Salonique, où elle sera imprimée en lettres grecques. Beaucoup de religieux de cette région ne connaissent pas le cyrillique. L’Évangile de Trlis fut traduit par l’instituteur Dimitar Stoïlov (du village de Trlis-Nevrokop), en 1861. L’Évangile de Kulakija fut traduit par Solunsko Evstatij Kiprijadi en orthographe grecque à partir de l’exemple de l’Évangile de Paul Božigrobski. Durant la Première Guerre mondiale, le professeur Ernest Denis a découvert, dans la région de Salonique, un évangile transcrit par Evstatij Kiprijadi. André Mazon et André Vaillant ont publié cet évangile : L’évangéliaire de Kulakia un parler slave du Bas-Vardar, Paris, 1938. L’Évangile de Boboščica fut traduit par Dimitar Canko (né en 1814 dans le village Boboščica - mort le 7 oct. 1904) en parler local, alphabet grec. Canko est considéré comme un acteur de la Renaissance macédonienne. Par ses traductions, il voulait permettre aux Macédoniens vivant sur le territoire de l’Albanie du Sud de s’opposer au processus assimilateur de l’hellénisation. Le texte complet de cet évangile a été publié par André Mazon, Documents, contes et chansons slaves de l’Albanie du sud, Paris, 1936, p.12.  Kuzman Šapkarev (Ohrid 1834 – Sofia 1909), acteur de la Renaissance, a traduit également deux évangiles (Нарочно Св. Благосвествование или Избор од евангелските четива/ Изборен апостол) qui ont été imprimés en 1870 à Tsarigrad (Constantinople), dans l’imprimerie du journal Makedonija. (ВЕЛЕВ, Илија, „Евангелскиот текст и неговите преводи на народен македонски говор во XIX век“, Македонски јазик во XIX век. По повод стогодишнината од смртта на Григор Прличев, Скопје 1996 ).

1.3.8. Les difficultés liées à la traduction

Si Isaïe Serres en 1371, développe les difficultés à traduire d’une langue à ancienne et riche tradition littéraire vers une langue dont les lettres débutent avec la traduction et qui ne bénéficie pas d’une pléiade d’auteurs illustres, les premiers traducteurs de livres sacrés du grec en vieux-slave furent confrontés à d’autres problèmes, par exemple reproduire l’acrostiche sous ses différentes formes : abécédaire, mésostiche, téléstiche, acroteleuton. Il était difficile, voire impossible, de conserver l’acrostiche original. Bien que conscients de cette difficulté, ils s’efforcèrent de la résoudre en changeant la place des strophes, en changeant les premiers mots ou expressions afin d’adapter l’acrostiche à l’ordre de l’alphabet vieux slave (ces efforts sont visibles dans la traduction de L’Acathiste à la Mère de Dieu). Toutefois, bien souvent, les copistes-traducteurs créaient de nouvelles œuvres littéraires slaves avec acrostiches. C’est pourquoi, dès les débuts des lettres slaves, nous trouvons de telles œuvres littéraires[11].


[1] Pour l’historique cf. Frosa PEJOSKA-BOUCHEREAU « Clément d’Ohrid et l’école littéraire d’Ohrid », in Histoire de la slavistique, Le rôle des institutions, sous la direction d’Antonia BERNARD, Institut d’Études Slaves, Paris, 2003, pp. 249-262. ; et « Histoire de la langue macédonienne », sous la direction d’Antonia BERNARD, in Revue des Etudes Slaves, tome 79, Fascicule 1-2, Paris, 2008, pp. 145-161.

[2] Georges Castellan, Un pays inconnu: La Macédoine hier et aujourd’hui, Editions Armeline, 2003, p. 22.

[3] Les deux siècles suivants, Byzance effectue une assimilation spirituelle des Slaves macédoniens. L’Archiépiscopie d’Ohrid perd son rôle culturel et éducatif. L’Archiépiscope Ivan de Debar sera, en 1036, remplacé par le Grec Léon Paflagon, avec lequel commence l’hellénisation de la population slave de Macédoine. Les manuscrits sont écrits et recopiés en langue grecque, les livres en vieux-slave sont détruits ou rejetés. À la fin du XIe siècle, la situation des lettres slaves se dégrade considérablement avec la venue de Théophylacte (1090-1109) qui commence à helléniser systématiquement le territoire macédonien en détruisant la littérature slave, en introduisant des livres liturgiques en grec et en traduisant les ouvrages hagiographiques locaux du slave en grec, par exemple la Biographie de Clément d’Ohrid. L’ « inquisition » contre le bogomilisme, né en Macédoine, sera, selon Vladimir Mošin [O periodizacija rusko-južnoslovenskih književnih veza. „Slovo“, Zagreb, br. 11-12 od 1962, str. 13-130], surtout au XIIe siècle, une « inquisition » contre toute la littérature slave rédigée en glagolitique et cyrillique.

[4] Pour les caractéristiques linguistiques des différentes rédactions cf. Михајло Георгиевски,Македонското книжевно наследство од XI до XVIII век, Новинско-издавачка организација „Просветен Работник“, Скопје 1979, 24.

[5] Cf. Асо Александар Гиревски, Македонскиот превод на Библијата, Православен богословски факултет „Свети Климент Охридски“ Скопје, Скопје,  2003.

[6] Михајло Георгиевски, Исаиа Серски и неговиот историско-литературен расказ за преведувањето на богослужбените книги од грчки на словенски и за поробувањето на Македонија од Турците во 1371 год.  сп. „Современост“ бр. 4-5, 1976. Стр. 295-304.

[7] Cf. Le chapitre consacré aux Recueils : Вера Стојчевска-Антиќ, Македонската средновековна книжевност, Детска радост, Скопје, 1997, 402-407.

[8] Cf. le chapitre consacré aux écrits sur l’histoire : Вера Стојчевска-Антиќ, Македонската средновековна книжевност, Детска радост, Скопје, 1997, pp. 379-391.

[9] Cf. le chapitre consacré aux apocryphes, contenant de nombreuses références sur les manuscrits apocryphes : Вера Стојчевска-Антиќ, Македонската средновековна книжевност, Детска радост, Скопје, 1997, pp. 281-329.

[10] Sur les damaskini et les traductions de Grigorij, voir Вера Стојчевска-Антиќ, Македонската средновековна книжевност, Детска радост, Скопје, 1997,  pp. 408-412.

[11] Pour les différentes formes d’acrostiches dans les manuscrits slaves ainsi que les différents auteurs d’œuvres slaves à acrostiches cf. Ѓ. Поп Атанасов, Речник на старата македонска литература, Скопје, 1989, p.12.

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