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Auteur : Irina Babamova

 

 NB : La période de la quête de modernité dans la littérature macédonienne correspond aux décennies 1950-1960. C’est donc cette période qui est traitée dans cette troisième partie, et non, comme pour les autres langues, la fin du XIXe siècle et les premières décennies du XXe.

 

3.1. Cadre général introductif

 

La fin de la Seconde Guerre mondiale et la constitution de l’État macédonien en 1945, lors de la première séance de l’ASNOM (Assemblée antifasciste pour la libération nationale de la Macédoine, tenue le 2 août 1944), marquent une nouvelle étape dans la vie politique et culturelle des Macédoniens. Conformément aux décisions prises lors de l’AVNOJ (Assemblée antifasciste pour la libération nationale de la Yougoslavie), la Macédoine devient l’une des six républiques constituant la nouvelle Yougoslavie sur des principes fédératifs. C’est la période où l’on procède à la normalisation de la langue macédonienne littéraire (standard), ainsi qu’à l’adoption de l’alphabet cyrillique de 31 lettres (publié en mai 1945 dans le quotidien Nova Makedonija). La publication de la première orthographe macédonienne (en juin 1945 dans le journal Nova Makedonija) est suivie, quelques années plus tard (1950), d’un premier Dictionnaire de l’orthographe élaboré par Blaže Koneski et Krum Tošev. 

La période qui suit est caractérisée par développement intensif sur les plans culturel et linguistique. La Macédoine devait faire de gros efforts pour rattraper, dans ces domaines, ce que son peuple, dont l’identité était finalement reconnue (1945), n’avait eu ni la possibilité ni le droit de réaliser durant son passé difficile. Depuis une très longue période, les hommes de lettres macédoniens ne pouvaient s’appuyer que sur le fond linguistique des parlers populaires. Après la normalisation de la langue, une riche littérature étrangère est traduite en macédonien, permettant ainsi une meilleure connaissance des cultures étrangères, mais aussi un enrichissement du fond lexical de la langue macédonienne. 

 

3.1.1. À quel moment apparaît dans votre littérature la quête de modernité incarnée par les avant-gardes littéraires ?

 

La période de la quête de modernité dans la littérature macédonienne débute dans les années 1950, mais elle est annoncée déjà dans les années 1940 à travers l’œuvre poétique de Kočo Racin. Cette quête a pris toute son ampleur dans les années 1950 à 1960 (voire 1970), période connue comme une confrontation littéraire entre deux positions : la première est favorable à l’émancipation esthétique de l’esprit créatif, c’est-à-dire au pluralisme esthétique et à l’esprit critique à l’égard des valeurs littéraires (en poésie aussi bien qu’en prose ; elle s’oppose au respect excessif pour les procédés de la poétique traditionnelle, mais aussi et surtout aux préjugés dogmatiques de la méthode réaliste-socialiste et au dogmatisme stéréotypé en matière de critique littéraire. Cette confrontation (qui se manifeste de la façon la plus nette entre 1952 et 1958) oppose les « réalistes » et les « modernistes », ces derniers souhaitant réformer la forme des vers et de l’expression, en réaction contre les canons des écoles classiques (réaliste et réaliste-socialiste). Ils réclament donc le droit légitime à une évolution diversifiée de la littérature. Lidija Kapuševska-Drakulevska y voit une « recherche d’une langue poétique nouvelle et modifiée et d’une expression basée sur les meilleures traditions de la poésie européenne moderne du XXe siècle » (Капушевска-Дракулевска 2001, p. 108). Elizabeta Šeleva, de son côté, relève « une influence surtout de la poétique existentialiste et de l’engagement de J. P. Sartre […] dans la littérature et dans la critique macédoniennes modernistes […] de cette période » (Шелева 1996, p. 114 et suiv.).

Cette période correspond à la naissance de l’avant-garde macédonienne. Il faut mentionner, en premier lieu, la poétique du grand poète Aco Šopov exprimée dans son recueil Стихови за маката и радоста (1952), ainsi que celle de Blaže Koneski, dans son recueil Везилка (La brodeuse) de 1955, après quoi se développe une littérature qui représente certainement l’une des phases les plus importantes et les plus riches de la modernisation et de la mis en place d’un pluralisme esthétique.

Il a été déjà signalé que la poésie de Kočo Racin, dans l’entre-deux-guerres, renfermait les germes de la modernité et des éléments d’innovation. Cela se reflète dans son esthétique expressionniste, riche en métaphores exclusives (dans son poème Kopačite, par exemple). Comme il s’agissait toujours de l’époque du réalisme-socialiste dans la littérature macédonienne (ou littérature sociale), dans les années 1935-1952 où la littérature macédonienne avait vécu l’aventure du pragmatisme socialiste, le recueil  Les aubes blanches de Kočo Racin suscite un intérêt particulier du fait qu’il représente, d’une part, une action en accord avec le combat politique du peuple macédonien pour sa liberté nationale et sociale et, d’autre part, une manifestation littéraire spécifique, témoignant des exigences nouvelles. Chez d’autres écrivains, par exemple chez le poète Kole Nedelkovski, cette nouveauté s’exprimait dans la métrique qui se rapprochait de celle de Pouchkine et de Lermontov.

En réalité, la littérature macédonienne entre dans un processus de développement accéléré et dans une phase de modernisation de l’expression littéraire, mettant l’accent, en ce qui concerne la prose, sur une narration contemporaine et, en poésie, sur une nouvelle poétique globale relevant du modernisme. Dans les revues macédoniennes apparaissent de nombreux aperçus portant sur l’œuvre des écrivains modernistes d’Europe occidentale (Mallarmé, Baudelaire, Rimbaud, Yeats, T.S. Eliot), mais aussi d’Amérique (Poe). Ces écrits remplissent les pages des revues littéraires Nov den, commençant en 1951 et Sovremenost, Mlada literatura et Razgledi, à partir de 1954 (critiques littéraires de Dimitar Solev, Branko Pendovski, Blagoja Ivanov, Vlado Maleski, Slavko Janevski, Kole Čašule, Milan Djurčinov, Gane Todorovski, Branko Varošlija ou de Mitrev Dimitar et d’autres).

En plus de ces littératures occidentales, dans les décennies 1950-1960, on note la présence de traductions de l’avant-garde russe des années 1920. Par exemple, le roman d’Ivan Bounine Село est traduit pour la première fois en macédonien en 1958 (par Cvetko Martinovski). Quant à la poésie, celle de Vladimir Maïakovski, un des futuristes les plus remarquables, occupait déjà une place particulière au temps de Kočo Racin. Vers 1950, on traduit en macédonien les poèmes de Sergueï Essenine, dans lesquels on apprécie surtout l’adhésion du poète aux valeurs littéraires ainsi que son « lyrisme intimiste », mais on s’intéresse également à la poétique symboliste d’Alexandre Blok (Дванаесетмината, traduit par Gane Todorovski, 1957) et à la poésie lyrique de Boris Pasternak (Поезија, traduit par Gane Todorovski, 1964). 

Concernant la période de la modernité italienne, Vlado Maleski, écrivain macédonien, traduit en 1956 en macédonien le roman d’Elio Vittorini, Луѓе и нелуѓе

La modernité poétique allemande est représentée par les traductions de Dusan Tomovski de poètes allemands du XXe siècle (Германска поезија на XX век, 1978) et d’un recueil de Rainer-Maria Rilke (Дуински елегии / Сонети за Орфеј, 1983). Mais on apprécie également la modernité des écrivains plus proches (Yougoslavie), depuis les « surréalistes de Belgrade » et Marko Ristić jusqu’aux œuvres de Miroslav Krleža, Ivo Andrić, Mihailo Lalić, Meša Selimović, Oskar Davičo, Vasko Popa et d’autres, et même d’auteurs plus lointains tels Joyce, Kafka, Proust, Gide, Garcia Lorca, Camus, Faulkner, Sartre (Gjurcinov 1996, p. 16). 

 

3.2. La pratique de la traduction

 

Qui traduit ?

 

3.2.1. Qui sont les traducteurs (origine sociale, formation, langue maternelle, statut social). Quelles sont les conditions de travail et de rémunération ? Sont-ils reconnus en tant que traducteurs, s’agit-il de leur activité principale ? Etc.

 

Les traducteurs provenaient, en général, des milieux intellectuels, des rangs des universitaires (des philologues, comme Blaže Koneski), des écrivains, des journalistes, des rédactions des médias, et même des théologiens connaissant plusieurs langues étrangères. En plus des Macédoniens, on comptait aussi un certain nombre de traducteurs appartenant aux diverses minorités ayant pour langue maternelle le turc (Ilhami Emin, Šukri Ramo), l’albanais (Aliu Ešref, Gaitani Adem), l’aroumain (Evgenija Kacavolu) et autres et qui connaissaient très bien la langue macédonienne. Bien que la traduction ne soit pas l’activité principale des intellectuels qui s’en occupent, ils sont reconnus en tant que traducteurs et ils jouissent d’une rémunération qui est le plus souvent négligeable. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que ceux qui souhaitent se spécialiser dans ce métier ont la possibilité de suivre une formation de traducteur dans le cadre de l’enseignement supérieur (dans les années 1978-1980, une formation de traducteur littéraire a été créée à la faculté de philologie). 

Notons toutefois que, dès 1954, le statut social du traducteur est fixé par la création de l’Association des traducteurs littéraires de Macédoinequi, une dizaine d’années plus tard, en 1967, promeut une Association des traducteurs scientifiques des langues spécialisées. Depuis 1971, cette Association s’est constituée en Association des traducteurs scientifiques et professionnels de Macédoine,dont M. Pierre François-Caillé, président de la Fédération internationale des traducteurs, a été nommé membre d’honneur, aux côtés de l’académicien Blaže Koneski. Ces instances serviront de base à l’ouverture (dans les années 2000-2001) d’un département de traduction et d’interprétation à la faculté de philologie de l’université de Skopje.

Un rôle important concernant les traductions est aussi joué par l’Association des écrivains macédoniens, fondée en 1947, et par le P.E.N. Club macédonien fondé en 1962, suite à la coopération fructueuse avec le P.E.N. International de Londres.

Bien que le métier de traducteur soit exercé en général par des hommes, il est à noter que, vers la fin du XIXe siècle, se signale le nom de Slavka Dinkova, une des premières femmes traductrices. Elle vient de la famille de Kostadin Dinkov-Drajilovets, libraire et instituteur à Thessalonique, qui dans son imprimerie (ouverte en 1852) imprimait des livres en parler macédonien en employant l’alphabet grec (Мокров 1991, p. 117). Elle traduit des articles pédagogiques pour les besoins des écoles en Macédoine. Cette féminisation, pour ainsi dire, du métier du traducteur devient beaucoup plus visible après la codification de la langue macédonienne en 1945. Parmi les traductrices en langue macédonienne normalisée, qui sont très actives dans les deux premières décennies suivant la libération (période de la modernité littéraire) on peut citer notamment : Verka Hristova (née en 1917 à Skopje), qui traduit du français, du serbe, et vers le français ; Vangja Tchashule (née à Radovish en 1923-1986), qui traduit de l’anglais, de l’espagnol, du portugais et du bulgare ; Milka Antcheva  (née à Prilep, 1922), qui traduit du français, du serbe et du bulgare ; Tzveta Kotevska (née à Prilep en 1923-2013), qui traduit du français, du bulgare, du serbe et vers le serbe ; Drita Karahasan (née en 1943 à Skopje) qui traduit du turc et vers le turc ; Evgenija Kacavolou (née à Skopje 1921-1983), qui traduit de l’allemand, du français, de l’italien et du serbe ; Bistrica Mirkulovska (née à Skopje en 1930), qui traduit du slovène et vers le slovène.      

  

Que traduit-on ?

 

3.2.2. Quels genres de textes traduit-on ?

 

La traduction en Macédoine est apparue comme un grand défi dans la période d’après-guerre. Dès sa première phase, elle a pris une forme intensive qui a suivi presque parallèlement le développement accéléré de la littérature macédonienne. Notons tout de même que la traduction était pratiquée déjà pendant la Seconde Guerre mondiale, en fonction de l’atmosphère politique (documents du parti communiste, rapports, mais aussi littérature politique et courtes pièces pour la scène, traductions du russe, dans la plupart des cas, effectuées surtout par Blaže Koneski, bon connaisseur de cette langue). C’est ainsi que Blaže Koneski a traduit la pièce Platon Kretchet, de l’écrivain ukrainien contemporain Aleksandar Korneitchouk, dont la représentation le 3 avril 1945 a marqué l’inauguration du Théâtre macédonien (Стаматоски 2006, p. 105). 

D’après une liste sommaire établie par le personnel de la Bibliothèque nationale de Skopje, Božidar Nastev écrit que, vingt ans après la normalisation de la langue macédonienne, « le nombre des traductions d’ouvrages littéraires dépasse largement deux cents et une bonne partie est constituée par des traductions d’auteurs français […] Il y a au total plus de trente volumes traduits du français, ce qui constitue à peu près 17 % de toutes les traductions des œuvres littéraires. » (Nastev 1961-1964, p. 60 et 63). Dans cette liste de traductions, on pourrait relever aussi la prédominance des traductions de la littérature russe, ainsi qu’une préférence pour le genre du roman. Remarquons aussi que la plupart de ces traductions étaient faites par l’intermédiaire des traductions serbes ou bulgares, mais aussi directement de l’original. De la littérature russe, les auteurs les plus traduits étaient les classiques : Gorki (son roman Majka est traduit pour la première fois en macédonien en 1946 par Aleksandar Ežov), Tolstoï, Tiouttchev, Dostoïevski, Gogol, Tourguenev, Tchekhov, Cholokhov, Ostrovski, Fadeïev et d’autres ; les traductions de romans français viennent en deuxième position : Anatole France (son roman Crainquebille est traduit en 1947 par Gueorgui Šoptrajanov), Romain Rolland, Balzac, Hugo, Henri Barbusse, etc. Viennent ensuite les traductions des romans anglais : Defoe (Робинсон Крусо, traduit par Mihajlov Panče, 1953), Dickens (Оливер Твист, traduit par S. Daskalov, 1953), Swift (Гуливеровите патувања, traduit par Evgenija Kacavolu, 1950), etc. 

Bien que la traduction des œuvres des littératures étrangères ne soit pas planifiée, l’écho de ce qui était le plus actuel dans la vie littéraire se faisait sentir, malgré le manque d’informations et de matériaux littéraires et malgré les résistances de certains milieux sociaux et culturels (dans le domaine de la critique littéraire surtout).

On traduit, dès le début, tous les genres littéraires : roman, poésie et théâtre, et le tableau des traductions peut être considéré comme assez riche et varié. 

Dans le domaine du roman, nous avons déjà mentionné de nombreux noms d’auteurs de réputation mondiale. On pourrait y ajouter encore Dostoïevski (Идиот, traduit par Tanja Uroševic, 1971), Marina Tsvetaeva (Писма до Борис Пастернак, traduit par Tanja Uroševic, 1973), Tolstoï (Златното клуче, traduit par Slavčo Temkov, 1951), B. Pilniak (Волга се влева во Касписко море, traduit par Simon Drakul, 1960), Булгаков Михаил, Мајсторот и Маргарита (traduit par Tajna Uroševic, 1970). Notons qu’il s’agit de la première version de ce roman, caractérisé comme moderne par ses éléments symboliques et fantastiques. Étant donné que le texte intégral du roman a paru en Russie en 1967, après la mort de Boulgakov en 1940, une nouvelle traduction en macédonien du même traducteur est sortie en 1996 chez l’éditeur Tabernakul). 

Viennent ensuite les traductions de romans de Erich Maria Remarque (На запад ништо ново, traduit par Dimitar Gogоushevski, 1963), Kafka (Процес, traduit par Todor Dimitrovski, 1962), Cervantès (Дон Кихот, traduit par Dimitar Gogusevski, 1976) Faulkner (Светлина во август, traduit par Sveto Serafimov, 1978) Virginia Woolf (Кон светилникот, traduit par Liljana Beleva, 1965), John Galsworthy (Сага за Форсајтови, 3 т., traduit par Liljana Beleva, 1974), Hemingway (За кого бијат камбаните, traduit par Dushan Crvenkovski, 1958 ; Старецот и морето, traduit par Dushan Crvenkovski, 1958), Joyce (Даблинци, traduit par Tome Momirovski, 1963), Thomas Mann, Norman Mailler, Francis Scott Fitzgerald, puis le roman de l’absurde de Camus (Чума traduit par Vera Hristova, 1956 ; Странецот, traduit par Branko Pendovski, 1964), le roman existentialiste de Sartre (Тегобност, traduit par Mirjana Tchepintchic-Jovanovska, 1966), un roman de Malraux (Човековата судбина, traduit par Korubin Blagoja, 1963), de Saint-Exupéry (Воен пилот, traduit par B. Nastev, 1962), etc.

Les traductions sont nombreuses surtout dans le domaine de la poésie. On traduit Lermontov, Pouchkine, Byron, Essénine, mais aussi la poésie de La Fontaine (Басни, traduit par Krume Kepeski, 1956) et de Christian-Johann Haine (Blaže Koneski traduit son poème Лирско интермецо, publié en 1952). L’intérêt va ensuite vers les poétiques modernes d’Alexandar Blok, Mereïkovski, Boris Pasternak, Edgard-Allan Poe et vers une pléiade de symbolistes mondialement connus : Mallarmé, Baudelaire, Verlaine, Verhaeren, Rimbaud, des impressionnistes : Hugo Von Hofmannsthal, R. M. Rilke, des surréalistes : André Breton, Paul Eluard, Louis Aragon. On peut y ajouter la traduction de la poésie de Garcia Lorca et de nombreux poètes britanniques et américains tels R.S. Thomas, W. H. Auden, T. S. Eliot, Robert Frost, Hilda Dolittle, Thomas Woolf, Carl Sandburg, Walt Whitman, W.-B. Yeats, Ezra Pound, etc.

L’ouverture du théâtre est également remarquable et l’intérêt pour les traductions est assez grand. On traduit les auteurs du classicisme français : Pierre Corneille (Le Cid traduit par Aco Šopov en 1958 dans la collection « Classiques du monde »), Molière (Tartuffe traduit par Lazo Karovski en 1966), parallèlement au théâtre classique russe de Gogol, Tolstoï et Gorki (На дното, traduit par I. Miltchin en 1961) et aux théâtres libres de Berlin et de Paris. Par l’intermédiaire de la traduction, on connaît la dramaturgie de Strindberg, de Tennessee Williams, le « théâtre d’idées » d’Ibsen, le symbolisme poétique d’O’Neill, ainsi que les nouvelles tendances esthétiques, les dialogues et le plan structurel de ces pièces de théâtre. On traduit aussi les drames d’Arthur Miller, de George-Bernard Shaw, de Camus et de Sartre (Заточениците од Алтона, traduit par Božidar Nastev, 1962), d’Eugène Ionesco (Улогата на драмскиот писател, 1959) et de Samuel Beckett, pièces d’« un univers en désagrégation » (Неименливото, traduit par Božidar Nastev, 1970).

On peut donc constater qu’après la domination, dans la première décennie (1945-1955), de la littérature russe et soviétique, qui représente jusqu’à 83,5 % de la totalité des littératures étrangères en Macédoine, suivent des impulsions nouvelles arrivant des littératures occidentales, en premier lieu des littératures française et anglo-saxonnes. Si l’on se réfère aux recherches réalisées à la chaire de littérature générale et comparée de la faculté de philologie de Skopje, concernant les zones d’influence (« la présence des littératures étrangères dans les revues littéraires macédoniennes »), dans les années 1950, les littératures de l’Union soviétique ne représentent plus que 25 % de l’ensemble des œuvres de la littérature mondiale. Tandis que la littérature française et la littérature anglo-saxonne représentent 18 % chacune. Dans les années 1960, le pourcentage diminue à 19 % pour la littérature soviétique et la part des autres littératures augmente, parallèlement à une ouverture sur les littératures polonaise, tchécoslovaque, allemande, latino-américaines et africaines. (Gurcinov 1998, p. 117-118).

 

3.2.3. Peut-on constater à cette époque une réduction de l’écart entre la date de parution d’une œuvre dans la langue originale et la traduction ?

 

En 1945, on se trouvait juste au début des traductions en langue normalisée et les besoins des écoles, des étudiants et de la société en général étaient évidents. C’est pourquoi les ouvrages traduits appartiennent à des époques différentes. Autrement dit, on ne se limite pas à la traduction d’œuvres d’une époque particulière. À côté des grands écrivains classiques des siècles antérieurs, tels Corneille, Molière, La Fontaine, Krylov (Басни, traduit par Aleksandar Šopov en 1953), ou Rainer Maria Rilke, on trouve des traductions des auteurs des XIXe et XXe siècles, y compris des représentants des avant-gardes européennes. Il y avait donc un grand décalage entre la date de la parution de l’œuvre dans la langue originale et sa traduction en macédonien. La raison principale était le fait qu’avant 1945 la langue macédonienne n’était encore ni reconnue ni normalisée. 

Une première exception à cet écart concerne les traductions en macédonien d’un nombre d’auteurs vivants qui ont un impact sur les nouvelles tendances littéraires et philosophiques de l’époque, comme l’existentialisme. Par exemple, le roman de Camus, La peste, publié en français en 1947, est traduit en macédonien en 1956 (Чума) ; le roman La Condition humaine de Malraux, paru en 1933 est traduit en 1963 (Човековата судбина) ; le roman La nausée de Sartre, paru en français en 1938 est traduit en macédonien en 1966 (Тегобност) ; la pièce Les séquestrés d’Altona de Sartre, parue en français en 1959, est traduite en macédonien en 1960 (Заточениците од Алтона). 

Une deuxième exception concerne les poètes participant à la manifestation internationale des « Soirées poétiques de Struga » qui, depuis 1961, se tient chaque année à Struga, près du lac d’Ohrid. Leur poésie est traduite aussitôt après (ou même avant, pour le lauréat) leur participation au festival. C’est ainsi que Robert Rojdestvenski est traduit en 1966, Boulat Okoudjava en 1967, Mak Dizdar en 1969, W. H. Auden en 1970, Pablo Neruda en 1972, Eugenio Montale en 1973, F. H. Daglarca en 1974, Eugène Guillevic en 1976, Senghor en 1975, Arthur Lundkvist en 1977, Rafael Alberti en 1979, H. M. Enzensberger en 1980, etc.

 

3.2.4. Y a-t-il à cette époque des changements dans la géographie de la traduction (origine des œuvres traduites) ? S’ouvre-t-on à des littératures non traduites jusque là ? Si oui, lesquelles ?

 

Après la libération du pays, au vif intérêt pour la traduction des écrivains russes, puis français, s’ajoute l’intérêt pour la traduction des auteurs anglo-saxons, américains et allemands. Cela est dû, avant tout, à l’étude de ces langues dans les écoles et à l’université, ainsi qu’aux séjours des jeunes intellectuels dans les pays respectifs. Une partie des traductions réalisées à cette époque concernent des œuvres écrites en slovène et en serbo-croate, langues parlé dans d’autres républiques de la Yougoslavie, dont la Macédoine faisait partie jusqu’en 1991. On traduit aussi des œuvres de la littérature bulgare (Hristo Botev, Одбрани песни, traduit par Gane Todorovski, 1964). Dès cette première époque, on assiste à un élargissement des horizons géographiques et culturels de la traduction. L’intérêt se porte vers les écrivains africains, ce qui reflète les bonnes relations politiques de la Yougoslavie d’alors avec la plupart des pays du continent noir (dans le cadre du mouvement des non-alignés). C’est ainsi qu’en 1962 Sveto Serafimov fait la première traduction vers le macédonien du roman L’enfant noir de l’écrivain guinéen Camara Laye (Црното момче, 1962) ; le poète macédonien Aco Šopov (avec Gueorgui Stalev et Vlada Uroševic) traduit des poèmes de Senghor (prix « Couronne d’Or » des soirées poétique de Struga (Песни, 1975) ; Ljupco Stojmenski traduit un recueil de poésie africaine sous le titre Африканските поети за сонцето и слободата, 1976 ; puis Gane Todorovski et Ljubica Todorovska traduisent un recueil de poésie d’Afrique Noire sous le titre Песни од Црна Африка (1967). 

On s’ouvre donc aux littératures africaines, non traduites en macédonien jusque là, mais aussi à l’Amérique et à l’Asie. C’est ainsi que Mihail Rendjov traduit l’épopée de Gilgamesh (Гилгамеш, асировавилонски еп1977, suivie d’une deuxième édition complétée par le même traducteur en 1994). 

Les traductions des littératures classiques sont d’actualité elles aussi (traductions du grec ancien par D. Mihail Petruševski (Homère, 1982) ; par Elena Koleva (Одбрана Сократова, Критон и Фајдон, 1983) ; Danica Tchadikova (Софокле, Ојдип Тиранин / Ојдип на Колон, 1991) ; du latin par Basotova Ljubinka, (Cicéron, Филозофски расправи, 1983). 

Pour les besoins des écoles, l’ouvrage Légendes panoniennesest traduit du vieux slave d’Église par RadmilaUgrinova-Skalovska (Панонски легенди, 1969), etc.

 

3.2.5. Citez quelques textes emblématiques traduits à cette époque (s’il y en a), titres et dates.

 

Voici quelques textes emblématiques traduits dans les décennies 1950-1960-1970 (source : Mакедонски книжевни преведувачи, Скопје, Огледало, 1994 [Dictionnaire des traducteurs littéraires macédoniens]).

1. Ch. J. Heine, Лирско интермецо, traduit par BlažeKoneski, 1952.

2. Alexandre Blok, Поезија, traduit par BlažeKoneski, 1966.

3. Alexandre Blok,  Дванаестмината, traduit par Gane Todorovski, 1957.

4. Француска лирика на XIX век, мала антологија, traduit par GueorguiStalev, 1964.

5. Boris Pilniak, Волга се влева во Касписко море, traduit par Simon Drakul, 1960.

6. Kafka, Процес, traduit par Todor Dimitrov, 1962.

7. Bounine, Ivan, Село, traduit par Cvetko Martinovski, 1958. 

8. E. Vittorini,  Луѓе и нелуѓе, traduit par Vlado Maleski, 1956.

9. Boris Pasternak. Поезија, traduit par Gane Todorovski, 1964.

10. Poe, Поезија, traduit par Gane Todorovski, 1969.

11. Песни од Црна Африка, anthologie de la poésie d’Afrique Noire, traduit par Gane Todorovski et Lj. Todorovska, 1967.

12. Hemingway, За кого бијат камбаните, traduit par Dusko Crvenkovski, 1958.

13. Sartre, Заточниците од Алтона, traduit par BožidarNastev, 1962.

14. Faulkner, Натрапникот во прав, traduit par Save Cvetanovski, 1964.

15. Gide, Патување низ Конго, traduit par Gueorgui Caca, 1958.

16. T. S. Eliot, Поезија, traduit par Bogomil Gjuzel, 1964.

17. Песна за Нибелунзите (Chanson des Nibelungen, épopée héroïque allemande anonyme du XIIIe siècle), traduit par Dusan Tomovski, 1979.

18. Homère, Илијада, traduit par Mihail D. Petruševski, 1982. 

Il faut ajouter qu’à cette époque les traductions de poèmes modernes (Apollinaire, Aragon, Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, Valéry, Breton, Michaux, Prévert), etc. sont publiées d’abord dans des revues littéraires avant de paraître dans des recueils (Baudelaire, Поезија, traduit par Vlada Uroševic, 1974 ; Француска поезија–XX век, traduit par Vlada Uroševic, 1972).

 

Comment traduit-on ?

 

3.2.6. Formule-t-on des exigences concernant le respect du texte traduit, la mention du nom de l’auteur du traducteur, la nécessité de traduire directement à partir de la langue originale ?

 

Les textes traduits et leurs traducteurs ne sont pas toujours traités avec le respect qu’ils méritent. À la libération, par exemple, où les traductions des textes de style publiciste sont les plus nombreuses, le nom du traducteur est le plus souvent omis. Le traitement est un peu différent lorsqu’il s’agit de traductions littéraires. Le nom est mentionné soit sur la première page, soit à la dernière page du livre. 

C’est surtout l’Association des traducteurs littéraires qui, depuis sa création en 1954, se penche sur les problèmes relatifs au traitement des textes traduits. Au fil du temps, les critères concernant le respect du texte traduit sont devenus plus rigoureux. La mention du nom de l’auteur de la traduction est devenue indispensable et les manquements à cette règle sont très rares. Dans bien des cas, le nom du traducteur est une sorte de garantie de la qualité de la traduction. 

La nécessité de traduire à partir de la langue originale est aussi un sujet traité lors des rencontres des traducteurs littéraires organisée par cette association. On y souligne d’autant plus cette nécessité que les langues de grande diffusion (l’anglais, l’allemand, le russe, le français, l’espagnol) sont enseignées dans le système scolaire macédonien. Ces langues ne servent d’intermédiaire que dans le cas où l’œuvre est écrite dans une langue de très petite diffusion (par exemple les langues africaines). 

 

3.2.7. Trouve-t-on des réflexions et/ou des débats sur la traduction ? Sur quoi portent-ils ?

 

Les réflexions et les débats sur la traduction en Macédoine sont organisés au sein de deux grands événements annuels :

- depuis 1972 se tiennent chaque année au mois d’août à Tetovo les Rencontres internationales des traducteurs littéraires ;

- depuis 1964, dans le cadre du Festival poétique international Soirées poétique de Struga, chaque année aussi, au mois d’août, est organisé à Struga un Symposium international qui traite des thèmes liés aux recherches de la poésie dans le monde et à la traduction. Les participants au symposium sont des poètes renommés de différents pays, des critiques et des historiens de la littérature.

Nous soulignerons ici quelques thèmes généraux débattus lors de ces deux grands rassemblements de poètes et de traducteurs. Leurs communications sont publiées dans des Actes, comme suit :

À Tetovo :

1. Les aspects théoriques et pratiques de la traduction littéraire (1977)

2. La contribution de la traduction au développement de la littérature nationale (1978).

3. Le traducteur face à la langue et au style de l’original (1981)

4. La traduction couronne l’œuvre (1987).

5. L’apport de la traduction à la découverte mutuelle des cultures nationales (1979).

6. L’universalité de la traduction littéraire (1982).

7. Comment traduire l’intraduisible (1996)

8. Au commencement était l’original (1997) 

9. Les principes de la traduction littéraire (1999)

10. La traduction – en tant que création en plus (1991)

11. La traduction en tant que contribution à la vitalité des langues (2000)

12. Le traducteur littéraire - notre contemporain (1998), etc.

Ces rencontres sont une occasion pour les participants d’aborder les questions théoriques de la traduction, de discuter de leurs pratiques ou même de confronter leurs expériences avec celles des autres.

L’Association des traducteurs littéraires de Macédoine publie le mensuel Огледало (Ogledalo), dont le rédacteur en chef est le traducteur Tasko Sirilov. Outre les questions relatives à la traduction en Macédoine et dans le monde, on y trouve des informations sur la vie littéraire dans différents pays. 

Parmi les prix de traduction décernés par cette association, plusieurs portent le nom de traducteurs distingués : prix Kiril Pejčinovik, prix Grigor Prličev, prix Božidar Nastev (depuis 1980) et prix Vangja Tchashulé (depuis 1993).

À Struga, le Symposium international est organisé, entre autre, autour de thématiques touchant aux questions de la poésie :

1. La pensée des mondes poétiques aujourd’hui (1968)

2. La poésie engagée – qu’est-ce que c’est ? (1969)

3. Couleur locale et signification universelle de la poésie (1970)

4. La poésie et le contemporain (1971)

5. Retour à la poésie (1972)

6. Tendances actuelles de la poésie (1973)

Outre les séances de travail, le programme de ce symposium international prévoit des récitals de poésie (macédonienne et étrangère), mais aussi des ateliers de traduction où l’on traite des questions touchant à la créativité poétique et à la pratique de la traduction. Au fil des années, ce symposium est devenu une rencontre incontournable des écrivains, des critiques, des traducteurs et des éditeurs macédoniens et étrangers. Son travail se déroule sous les auspices de l’UNESCO. 

 

3.2.8. Certains traducteurs écrivent-ils des préfaces explicitant leur pratique ainsi que le choix des textes qu’ils traduisent ?

            

Les préfaces des ouvrages littéraires traduits sont généralement orientées vers une analyse critique de l’œuvre même et de son impact sur la création littéraire en général. Bien qu’ils soient plus rares, les témoignages du traducteur sur le choix de l’œuvre à traduire et sur sa pratique de traduction en font partie intégrante. 

Exemple 1. La période de la modernité est aussi la période où paraissent les traductions en macédonien standard des premiers grands textes. C’est ainsi qu’en 1953 a été publiée une traduction d’extraits de l’Iliade et de l’Odyssée, dans la préface de laquelle le traducteur, Mihail Petruševski, expose les motifs de son choix et explique sa pratique de traduction. Une présentation plus complète de sa démarche se trouve dans sa préface à sa traduction du texte intégral de l’Iliade (1982). En choisissant de traduire l’Iliade du grec en macédonien standard, il souhaite rendre ce grand texte accessible aux lecteurs macédoniens qui, à cause de l’échec de la traduction de Prličev, cent ans auparavant, n’avaient pas la possibilité de lire cette œuvre en macédonien. Étant d’avis que la forme de la traduction ne devrait pas se différencier de celle de l’original, Petruševski, en excellent connaisseur de la langue grecque, décide de réaliser une traduction en vers. Il est persuadé que sa traduction ne pourra être équivalente à l’original que si elle en reprend le sujet et la forme. En faisant une sorte d’analyse de la langue poétique d’Homère, il se penche sur les difficultés auxquelles il se heurte en tant que traducteur. Parmi ces difficultés, il évoque les nombreuses figures de style, surtout les comparaisons, l’abondance d’épithètes simples et composés. Au sujet de cette abondance d’épithètes, Petruševski écrit : « J’ai essayé d’être fidèle à l’original autant que possible. Bien sûr, il ne m’a pas été toujours possible de trouver le mot juste ou l’expression correspondante dans notre langue. J’ai été obligé de créer des mots nouveaux, tout en essayant de respecter le génie de la langue macédonienne. C’est ainsi qu’ont été créés les mots далекумèтец et даљномèтец (dalekumetets et daljnométets), à côté de далекуметен (dalekumeten), белолакта (belolakta) à côté de лепокоса (lepokosa), убавокоса (ubavokosa), сребр(ен)онога (srebrenonoga), qui gardent le plus souvent la place de l’accent ancien, surtout au niveau des mots composés contenant un verbe dans la deuxième partie du mot, tels : полковóдец (polkovódets), народојáдец (narodojádets), панѕиронóсец (pandzironósets), коњокрóтец (konyokrótets), etc. » (Петрушевски 1982, p. 9) 

Pour la traduction des mots archaïques propres à la poésie d’Homère, Petruševski se sert de mots rares ou vieillis, veillant toutefois à ce que les dérogations à la langue littéraire et surtout à la syntaxe macédonienne ne soient pas trop nombreuses. 

Dans la préface de l’Iliade, Petruševski parle du maintien de la métrique dans la traduction, plus particulièrement du maintien de l’hexamètre et de la césure dans les vers en macédonien, c’est-à-dire qu’il explique l’évolution de sa méthode de traduction :« Je dois noter que, quand j’ai publié, il y a trente ans (en 1953), les premiers hexamètres macédoniens de l’Iliade d’Homère et, peu après, le premier choix de l’Iliade et de l’Odyssée en 1969 […], un nombre considérable de vers de ce premier choix de l’Iliade avaient subi de grandes transformations concernant la langue, ainsi que le rythme et le vers, c’est-à-dire la structure de l’hexamètre et surtout la disposition des césures » (L’Iliade, Préface, 1982, p. 7). 

Il serait utile de citer également les remarques critiques de Petruševski dans cette préface concernant l’adaptation des épopées homériques réalisée par le poète macédonien Grigor Prličev, « le second Homère » : « On avait de grandes attentes concernant le travail de Prličev, car c’était un excellent connaisseur du grec et il possédait lui-même, en tant que poète, un “esprit poétique”. Pourtant, dit Petruševski, le “second Homère”, l’auteur de l’Armatolos, n’a pas satisfait à ces espoirs. La critique était, à juste titre, impitoyable. Il croyait, en fait, traduire Homère en bulgare, mais la langue dans laquelle il traduisait Homère n’était pas bulgare et la “traduction” n’était pas une véritable traduction ; au contraire, c’était un remaniement d’une œuvre qui ne lui apporta que des déceptions et des ennuis […] et il a dû renoncer à ce travail ». (L’Iliade, Préface, 1982, p. 8).

Exemple 2. Dans la notice accompagnant la traduction du recueil de Baudelaire, Les fleurs du mal, le traducteur, Vlada Uroševic, s’exprime sur la métrique du vers de Baudelaire. Selon lui, « si l’on veut traduire en macédonien l’essence artistique du vers de Baudelaire, le nombre de syllabes ne peut pas rester égal à celui de l’original. C’est la raison pour laquelle les vers comptent, le plus souvent, deux syllabes de plus ; l’alexandrin, très fréquent dans l’original, est traduit par des vers de quatorze syllabes ; la césure s’approche très souvent du début ou de la fin du vers. » (Урошевиќ 1982, p. 235). 

Exemple 3. En tant que traducteur du poème Gorski venec (La couronne de la Montagne, 1847) du poète monténégrin Petar Petrović Njegos, Blaže Koneski, l’un des représentants de l’avant-garde littéraire macédonienne, s’exprime sur sa traduction de ce poème en vers, et surtout sur le choix lexical qu’il y opère. Selon lui, la traduction en langue macédonienne qu’il a fait publier en 1947 reflète une langue dont l’expression poétique est beaucoup plus proche de l’expression populaire traditionnelle que de celle de la langue normalisée. Tout en respectant le ton archaïque du poème de Njegoš, Koneski  décide de donner la priorité plutôt aux mots vieillis afin de conserver le ton de l’original, bien qu’il soit conscient de son écart de la norme de la langue macédonienne. (Cf. Андреевски 1991, p. 397-398).

 

3.3. Le rôle culturel de la traduction

 

La traduction et la langue

 

3.3.1. Statut de la langue écrite à l’époque (existe-t-il une norme unique pour cette langue ? Coexistence éventuelle avec d’autres langues ?)

À la différence des autres langues et littératures slaves du sud qui ont évolué sous la domination ottomane, la langue macédonienne n’a pas réussi à se rétablir entièrement au cours du XIXe siècle, repoussant ainsi sa formation complète à la libération en 1944 et à la création de la République de Macédoine dans le cadre de la Fédération yougoslave. Notons que le macédonien a été frappé de mesures d’interdiction prises par les différents régimes qui jouissaient d’une influence surtout au niveau de l’éducation, tels les Phanariotes et l’Exarchat bulgare. Cette influence s’est exprimée surtout dans la deuxième moitié du XIXe siècle et dans les premières décennies du XXe siècle). Cette situation de non-reconnaissance du macédonien a persisté jusqu’à la libération du pays en 1945.

La création de la littérature macédonienne contemporaine (période de l’entre-deux guerres) se réalise dans des conditions de non-reconnaissance de l’individualité du peuple macédonien ni de sa langue par les régimes d’alors. Malgré cela, à la fin de la troisième et surtout de la quatrième décennie du XXe siècle, la littérature en langue populaire reprend vie avec éclat. « Cet éveil est d’abord ressenti en Macédoine du Vardar (Yougoslavie) et dans certaines régions de Bulgarie […] (à Sofia, à cette époque, travaillent quelques écrivains macédoniens originaires de Macédoine du Vardar ; en 1938, dans cette même ville, un groupe littéraire macédonien est particulièrement actif ; y collaborent aussi de jeune poètes de Macédoine de Pirine). Dans un délai très court, de 1938 à 1941, paraissent plusieurs recueils de poèmes, parmi lesquels le premier recueil écrit en langue macédonienne, Beli Mugri (Les aubes blanches) de Kosta Ratsine (imprimé illégalement à Sombor, près de Zagreb, en 1939). (Spasov in Ratsine 1975, p. 61-62) 

En 1940, Kočo Racin, dans son article historique « Développement et importance de notre nouvelle littérature » (publié dans le journal de Zagreb Radnički tjednik (L’hebdomadaire ouvrier) a déjà pu relever nombre de réalisations illustrant l’apparition des nouveaux courants dans la littérature macédonienne contemporaine. 

Quant au statut de la langue écrite, notons que la normalisation de la langue macédonienne est le résultat d’une évolution qui se réalise en plusieurs étapes, parmi lesquelles le choix des dialectes centraux macédoniens (les parlers de Prilep, de Bitola, de Veles et d’Ohrid), qui serviront de base à la création de la langue macédonienne standard (« langue littéraire » selon certaines terminologies) est l’étape la plus importante. Rappelons ici que ce principe fondamental est proposé par K. P. Missirkov, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, et vérifié en pratique dans son ouvrage Sur les affaires macédoniennes (За македонцките работи, 1903). Outre ce principe, il propose une orthographe macédonienne basée sur le principe phonologique et trace des pistes de réflexion sur l’enrichissement du fond lexical macédonien. Notons aussi que « les écrivains macédoniens de la génération de l’entre-deux guerres étaient étroitement liés aux idées de K. P. Missirkov, et leurs œuvres même ont confirmé l’exactitude des conceptions de Missirkov sur la formation de la langue littéraire macédonienne. Ils ont contribué par là à son acceptation officielle immédiatement après la Libération » (Spasov in Ratsine 1975, p. 64). 

Malgré le fait que les Macédoniens étaient depuis de longs siècles exposés à la politique de dénationalisation des différents régimes qui se sont succédés au pouvoir jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils ont réussi à garder la riche variété de leurs dialectes sur l’ensemble du territoire macédonien, assurant ainsi l’évolution continue de la langue macédonienne. Rappelons ici que, suite à la signature du traité de paix de Bucarest (1913), le territoire macédonien est divisé en quatre parties entre la Serbie (la Macédoine de Vardar), la Bulgarie (la Macédoine de Pirin), la Grèce (la Macédoine d’Egée) et un nouvel État indépendant, l’Albanie (la région de  Poustets, Golo Brdo et Mala Prespa). 

Conformément aux décisions prises lors de l’AVNOJ (Assemblée antifasciste pour la libération nationale de la Yougoslavie, tenue le 29 novembre 1943) et lors de la première séance de l’ASNOM (Assemblée antifasciste pour la libération nationale de Macédoine, tenue le 2 août 1944), la Macédoine, ou plus précisément la Macédoine de Vardar, devient l’une des six républiques constituant la nouvelle Yougoslavie sur des principes fédératifs.

Après la dissolution de la Fédération yougoslave (1990), la République de Macédoine devient un pays indépendant (le 8 septembre 1991).

Suite à la constitution de l’État macédonien en 1945 (République populaire de Macédoine), en tant que république au sein de la nouvelle Yougoslavie fondée sur des principes fédératifs (République fédérative populaire de Yougoslavie), on œuvre à la normalisation de la langue macédonienne en se basant sur les principes proposés par Missirkov un demi-siècle auparavant. La commission pour la normalisation de la langue macédonienne, de l’alphabet et de l’orthographe macédoniens, présidée par Blaže Koneski, adopte l’alphabet cyrillique de 31 lettres (publié en mai 1945 dans le quotidien Nova Makedonija) ainsi que l’orthographe macédonienne (publiée en juin 1945 dans le quotidien Nova Makedonija). L’année 1945 est donc considérée comme marquant la fin du long travail sur la norme de la langue macédonienne, c'est-à-dire comme l’année de la normalisation de la langue macédonienne. 

            

3.3.2. La traduction joue-t-elle un rôle dans l’évolution de la langue ?

 

Une phrase évoquée par Blaže Koneski, poète et linguiste macédonien dont le rôle dans la normalisation de la langue macédonienne est incontournable, résume le rôle de la traduction dans l’évolution de la langue macédonienne : « Notre langue se forge dans la forgerie de la traduction ». Selon les témoignages de Koneski, présentés dans le livre Entretiens avec Koneski (Разговори со Конески) de Tzane Andreevski (Андреевски 1991, p. 391), c’est la traduction qui, dans les premières années suivant la fin de la Seconde Guerre mondiale, contribue le plus à l’évolution de la langue standard. Les textes de style publiciste sont, à cette époque, les textes les plus traduits. Leur but est d’assurer la communication des informations à un public très large à travers la radio, la télévision, l’édition, la presse. 

La traduction des textes de style publiciste entraîne, en même temps, un travail sur la terminologie et sur le vocabulaire à employer pour répondre aux besoins des différents styles fonctionnels, y compris le style littéraire. La traduction des poésies d’Heinrich Heine, Alexandre Blok, Njegoš (poète monténégrin), France Prešeren (poète slovène) ou Shakespeare contribue à la recherche d’une expression poétique nouvelle conforme au génie de la langue macédonienne. La traduction des textes littéraires, poétiques surtout, pousse à la création de mots nouveaux prenant pour base l’héritage linguistique macédonien. 

C’est ainsi que la traduction devient un vecteur d'innovation linguistique contribuant ainsi à l’enrichissement du vocabulaire.

La traduction a eu aussi un impact sur la lexicographie. Parmi les premiers dictionnaires bilingues français-macédonien, on compte le dictionnaire de petit format de Dano Kitanovski, publié en 1967. Le premier grand dictionnaire français-macédonien (888 pages) est publié en 1992. Ses auteurs sont Petar Atanasov, Aleksa Poposki et Ljubica Dimovska-Kalajlievska.

Un dictionnaire macédonien-français (506 pages) dont les auteurs sont Petar Atanasov et Aleksa Poposki est publié en 1998.

D’autres dictionnaires ayant le macédonien comme lange cible sont le dictionnaire russo-macédonien (1996), le dictionnaire italien-macédonien de Giorgio Nurigiani (1967), le dictionnaire macédonien-roumain et roumain-macédonien en deux volumes de Mile Tomik (1986) et d’autres.

 

La traduction et la littérature

 

3.3.3. La traduction joue-t-elle un rôle dans le développement des formes, des genres et des courants littéraires, notamment dans l’avènement de la modernité ?

 

Nous avons déjà dit, Kočo Racine est l’un des poètes de l’entre-deux guerres qui, tout en redonnant vigueur à la tradition de la poésie artistique macédonienne, a annoncé les courants modernes. Il est notamment influencé par l’expressionisme européen (Вaнгелов 1974, p. 728). Sa création poétique se caractérise par une expression singulière et, dans certains de ses poèmes, comme celui intitulé « L’homme à la pioche » (Копачите), il utilise même le vers libre. 

La réception du modernisme par l’intermédiaire des traductions permet aux œuvres originales de suivre de plus près les différents courants littéraires, de sorte que les écrivains macédoniens, bien que marqués d’une forte originalité, « s’abandonnent de plus en plus aux conceptions modernes [...] et établissent des liens de plus en plus vivants avec la poésie mondiale en général [...]. C’est que les poétiques du symbolisme, de l’imagisme, de la tradition folklorique renouvelée et imprégnée de résonnances méditatives, d’éléments intellectuels et d’impressions surréalistes, deviennent des stimuli de la poésie (macédonienne) moderne [...]. Dans cette lignée de poètes [...], Gane Todorovski passa par la vague de la poétique anglo-saxonne (E. A. Poe, Sandburg, Whitman) [...], chez Mateja Matevski on reconnaît un dialogue intime avec la poésie française moderne [...] ou quelques éléments de l’extase de Baudelaire et de Rimbaud dans la poésie vibrante de Radovan Pavlovski ou de Bogomil Gjuzel [...] et ainsi de suite jusqu’aux symboles des motifs africains dans la poésie de Aco Šopov » (Todorova 1980 ; p. 848). Puis les années 1960 sont placées sous le signe du symbolisme et du néo-symbolisme de Eftim Kletnikov, Mihail Rendzov, Čedo Jakimovski et Atanas Vangelov, en tant que reflet de la poésie de Baudelaire et de Mallarmé, avant tout (voir Капушевска-Дракулевска 2001, p. 116-117). Ensuite, « l’expérience surréaliste se fait sentir dans la poésie de Mateja Matevski, Vlada Uroševic, Radovan Pavlovski, Petre M. Andreevski, Slavko Janevski » (Spasov 1973).  

Le contact avec les œuvres littéraires et philosophiques de différents pays ou époques, qui s’établissait par la voie de la traduction, commença à élargir les horizons des écrivains et des artistes macédoniens et à les mettre au milieu des tourbillons des tendances modernes européennes et mondiales qui « deviennent des points de repère dans le développement de la culture nationale macédonienne... Ce nouveau climat pénètre dans tous les genres de la littérature... Dans le domaine de la prose l’attitude envers la tradition change, de même qu’envers l’histoire [...]. Les prosateurs qui sont particulièrement autochtones [...] abordent une complexité de problèmes : problème de la guerre, de la liberté, ou problèmes de l’amour et de la haine [...]. Mêmes tendances dans l’expression scénique (le théâtre de Goran Stefanovski ou le drame de l’absurde de Dimitar Solev Bamnja ou l’hibiscus exculentus de 1967) » (Todorova 1980, p. 847).

 

La traduction et la société

 

3.3.4. A quelles fins traduit-on (esthétiques, commerciales, politiques, sociales ?

 

3.3.5. Qui prend en général l’initiative des traductions (traducteurs ? éditeurs ? libraires ? mécènes ? pouvoir politique ou religieux ?)

 

Dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, l’initiative des traductions est prise dans la plupart des cas par les traducteurs eux-mêmes. C’est ainsi que Koneski, par exemple, traduit Heine de l’allemand en macédonien. 

En ce qui concerne l’ouvrage Gorski venec du poète monténégrin Njegoš, le projet de traduction est né en 1947 à Cetinje, lors de la célébration yougoslave du centenaire de la publication de cette œuvre (Андреевски 1991, p. 395). La traduction de cette livre par Blaže Koneski a été considérée comme une contribution macédonienne à cette célébration.

L’initiative de la traduction de la poésie d’Alexandre Blok est venue de la maison d’édition Kultura de Skopje, plus particulièrement de son rédacteur Gligor Krstevski. La traduction en macédonien de la poésie de Blok se range parmi les traductions en macédonien de plusieurs poètes étrangers dont l’initiative de la publication vient de cette maison d’édition (Андреевски 1991, p. 395-396).

Les premiers pas vers une traduction organisée sont faits par les Éditeurs réunis, dont font partie cinq maisons d’édition macédoniennes, Misla, Makedonska kniga, Kultura, Naša kniga et Nova Makedonija. Ces éditeurs ont adopté un plan de cinq ans dont le résultat est la traduction de cinquante titres, publiés jusqu’en 1977, provenant de plusieurs littératures étrangères (Kafka, Zola, Dickens, Tolstoï, Tchekhov, Kazantzakis, Akoutagava, Kadaré, Conrad, Pirandello, Goethe, Rimbaud, Baudelaire, etc.). Parmi ces traductions figurent quelques anthologies de poésie (Anthologie de la poésie grecque, choix fait par Kostas Assimakopoulos, traduction en macédonien par Paskal Gilevski) (Cf. Тодорова 1977, p. 304). 

 

3.3.6. Quels sont les supports de publication et les modes de diffusion des traductions ?

  

Les traductions publiées jusque dans les années 1960-1970 sont diffusées principalement par les maisons d’éditions qui les publient et par leurs librairies, ainsi que par les expositions d’œuvres traduites organisées par l’Association des traducteurs littéraires de Macédoine. À cette époque, le Salon du livre de Skopje n’a pas encore été institutionnalisé.

Un rôle important concernant l’accès aux livres et aux traductions a été joué par les bibliothèques. Parmi les premières bibliothèques en Macédoine se distingue la bibliothèque municipale de Veles, fondée en 1833. 

La création de la faculté de philosophie à Skopje (1920) marque l’ouverture d’une bibliothèque de dimensions plus importantes. 

Une bibliothèque plus moderne fut ouverte au sein du Musée des sciences naturelles (fondé en 1926 à Skopje). En 1935 furent fondées deux bibliothèques populaires : « Les frères Miladinov » à Skopje et « Fetkin » à Kavadarci.

La décision de fondation de la Bibliothèque nationale « Saint Clément d’Ohrid »  à Skopje date du 23 novembre 1944. Au moment de son ouverture elle dispose d’un fonds de 150 000 livres, provenant pour la plupart de la faculté de philosophie de Skopje.  

 

3.3.7. Y-a-t-il des différences à cet égard avec la littérature originale ?

 

Les modes de diffusion de la littérature originale sont les mêmes que ceux des œuvres traduites.

 

3.3.8. Quel est le public des traductions ? Est-il différent du public de la littérature originale ?

 

Il n’y a pas de grande différence entre ces deux types de public. Il est à souligner que les traductions en macédonien de plusieurs œuvres littéraires pour enfants, telles que Heidi de Johanna Spyri, Les aventures de Tom Sawyer de Mark Twain, etc. faisaient partie des lectures obligatoires dans l’enseignement scolaire. 

 

3.3.9. Réception critique des traductions ?

 

La critique des traductions fait ses premiers pas dans les deux premières décennies après la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs articles de Blaže Koneski sont publiés dans la revue littéraire macédonienne Nov den et concernent surtout les traductions littéraires. La critique des traductions par Koneski était assez sévère concernant le choix des équivalents macédoniens. Mais l’intérêt pour la qualité des traductions a baissé au fil du temps. Une des raisons possibles est le fait qu’à cette époque (1940-1960), très peu de gens étaient formés pour faire une évaluation des traductions (Андреевски 1991, p. 401-402).

Dans la période qui suit, la critique des traductions littéraires se présente plutôt sous la forme d’études sur les traductions littéraires visant avant tout à mettre en valeur les bonnes solutions linguistiques des traducteurs. Des discussions à ce sujet sont menées au sein de l’Association des écrivains macédoniens créée en 1947. 

 

3.3.10. Existe-t-il une censure visant spécifiquement des traductions ?

 

La période de la modernité se caractérise par une ouverture aux littératures étrangères qu’elles soient d’expression slave, francophone, allemande ou anglophone. On ne pourrait pas parler de censure lors de la sélection des textes à traduire. On pourrait parler plutôt d’une disproportion entre le pourcentage de traductions littéraires et celui des traductions techniques ou scientifiques. 

 

3.3.11. Les modalités d’exercice de la traduction sont-elles influencées par les identités nationales, sociales, etc. (choix des textes, mode de traduire, langue de la traduction) ?

3.3.12. Des traductions ont-elles joué un rôle dans l’évolution des idées et de la société ?

 

Les traductions, surtout dans la période des années 1945-1950 suivaient les orientations idéologiques du moment actuel dans la société. C’est ainsi que les traductions littéraires du russe étaient plus nombreuses que les traductions des autres langues. Cela s’explique par l’influence idéologique qu’exerçait l’Union soviétique pendant la période de l’immédiat après-guerre.

Mais il est à noter que pendant cette période, aussi bien que pendant la période qui a suivi, les traductions ont contribué, de manière plus ou moins directe, à l’adoption des idées européennes,  non seulement dans la littérature, mais aussi dans la philosophie, dans les arts plastiques (entre 1952 et 1962 ont eu lieu les premières expositions d’artistes étrangers et, à partir de 1962, les premières exposition d’art moderne macédonien à l’étranger) et dans la vie culturelle en général. 

 

Bibliographie

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АНДРЕЕВСКИ, Цане (1991). Разговори со Конески. – Скопје : Култура.

БЛАЖЕ КОНЕСКИ И МАКЕДОНСКИОТ ЈАЗИК, ЛИТЕРАТУРА И КУЛТУРА, Меѓународен научен собир 15-17 декември 2011, Филолошки факултет „Блаже Конески“, Универзитет „Св. Кирил и Методиј“, Скопје, Филолошки факултет „Блаже Конески“, Скопје, 2012.

БОДЛЕР, Шарл (1982), Цвеќињата на злото, Препев, предговор и коментари : Влада Урошевиќ, Македонска книга, Скопје. 

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