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Auteur : Irina Babamova

 

2.1. CADRE GÉNÉRAL INTRODUCTIF

2.1.1. A quelle époque se constitue une littérature profane dans votre langue

La littérature profane apparaît en Macédoine vers les années 50 du XIXe siècle (époque Ottomane) et elle se réalise en langue populaire macédonienne, suivant l’exemple de la riche littérature populaire de caractère anonyme qui, avec ses quelques milliers de chants et de contes, de légendes et de croyances, de dictons et de devinettes en circulation depuis les temps les plus reculés, occupe une place éminente dans le maintien de la tradition et de l’identité nationale macédonienne. Cette production populaire constitue ainsi un des trésors les plus précieux pour la sauvegarde de la langue macédonienne, qui sert de base à la langue macédonienne littéraire (standard). Mais, elle garde, en même temps, le témoignage de la vie rude du peuple macédonien, vivant durant des siècles dans des conditions extrêmement difficiles de servitude économique, culturelle et nationale. Notons, dans ce sens, que les influences des peuples voisins sont très fortes et qu’au début du XIXe siècle, dans certaines régions de la Macédoine du Sud, on emploie l’alphabet grec pour écrire des textes en langue populaire macédonienne (VAILLANT, André, MAZON, André, L’évangéliaire de Kulakia, un parler slave du Bas-Vardar, Paris, 1938, pp. 6-13). Il est évident donc que la langue macédonienne ne pourra se constituer et s’établir qu’après la libération définitive de la Macédoine en 1945.

Le début du XIXe siècle marque la naissance d’une bourgeoisie, dont la présence au niveau social et culturel se renforce et devient plus significative. C’est grâce à son soutien, entre autre, que la construction des églises et des monastères s’intensifie tout comme l’ouverture de nouvelles écoles. La période du XIXe siècle ouvre donc un processus de modernisation de la vie en Macédoine comme dans les autres pays des Balkans. Cela conduit inévitablement au développement linguistique, qui se reflète dans la présence très accentuée des éléments de la langue populaire dans le slave d’église qui s’approche des principes de Jordan Hadji Konstantinov-Djinot et de ceux de Krste Petkov Misirkov. Le mouvement de fondation des écoles dans les villes en Macédoine, renforce les aspirations à un enseignement meilleur et de caractère européen. De telles aspirations donnent un stimulus complémentaire et multiplient les initiatives d’ouverture des premières imprimeries : celle de Téodossij Sinaïtski en 1838 à Thessalonique et celle de Partenij Zografski en 1860. Leur but est de satisfaire, avant tout, aux besoins des écoles macédoniennes, et surtout de permettre et de faciliter l’introduction de la langue populaire macédonienne dans les livres, par exemple dans ceux de Kiril Pejcinovic (1770-1845) ou de Gueorgui Pulevski ”un des premiers macédonisant (македонисти)“ (KONESKI, 1986 :12). Pourtant, ces imprimeries n’étaient pas de longue durée et la plupart des livres des auteurs macédoniens devaient être imprimés ou bien en Turquie, ou bien en Serbie, en Bulgarie, en Croatie ou en Russie (TOCINOVSKI, 2005:8), aussi bien qu’à Vienne, Buda et Thessalonique.

Une telle communication entre les imprimeurs venait en aide à l’établissement des relations intellectuelles directes avec les littératures étrangères. C’était aussi la voie par laquelle arrivaient en Macédoine les premiers livres de l’étranger, traitant des problèmes de la vie contemporaine. Tout cela élargissait l’horizon culturel des premières générations d’écrivains macédoniens et les initiait à créer leurs propres ouvrages en langue populaire macédonienne, constituant ainsi un fonds modeste, mais déjà remarquable de la littérature profane.

2.1.2. Peut-on distinguer plusieurs grandes périodes entre l’apparition d’une littérature profane et la quête de modernité incarnée par les avant-gardes littéraires ?

L’apparition et l’évolution de la littérature profane en Macédoine ne coïncide pas avec l’apparition d’une telle littérature en Europe occidentale. C’est pourquoi la quête de modernité en Macédoine est conditionnée par d’autres facteurs de nature politique, historique, économique se reflétant de façon défavorable sur le développement du milieu social et culturel. Ce n’est qu’avec un décalage temporel de quelques décennies qu’interviennent ici les grands mouvements de l’avant-garde (philosophiques et esthétiques) qui caractérisent la nouvelle époque des lettres des peuples de l’Europe occidentale.

Bien qu’il y ait un décalage vis-à-vis l’ordre chronologique des courants littéraires occidentaux, on peut distinguer, dès l’apparition de la littérature profane en Macédoine (vers les années 50 du XIXe siècle), quatre périodes principales en prenant comme critère leurs traits stylistiques et idéologique (périodisation proposée par STALEV, 2001 : 43) :

Période des lumières (просветителство) : Dans un sens historico-littéraire la fondation de la littérature profane et la traduction en Macédoine (milieu du XIXe siècle) sont liées à la propagation des idées des lumières (le renouveau national) et aux besoins des écoles laïques qui succèdent aux écoles ecclésiastiques (séminaires).

La période de l’apparition des premières éditions littéraires à caractère profane qui porte la marque d’un pseudoclasicissme, orientation isolée et propre au fondateur du genre dramatique en Macédoine, Jordan Hadzi Konstantinov- Dzinot. Cela se présente plutôt sous forme d’un reflet du classicisme ou du pseudo classicisme européen dans ses dialogues et ses drames.

Le romantisme, attardé par rapport aux courants romantiques européens et balkaniques, mais portant tous les traits propres à ce mouvement littéraire et mettant en avant la production folklorique, les chansons populaires macédoniennes, l’expression du lyrisme et de la nostalgie. (L’époque des poètes romantiques : Rajko Jinzifov, Konstantin Miladinov et Grigor Prličev)

Le réalisme, embrassant les premières décennies du XXe siècle et la période de l’entre-deux-guerres qui se caractérise par un développement rapide de la littérature dramatique (l’époque des écrivains dramatiques Voïdan Chernodrinski, Vasil Iljoski, puis Anton Panov et Risto Krle).

A cette quatrième période succède la poésie lyrique de Kočo Racin qui, par son expressionnisme, ouvre la voie de l’émancipation esthétique.       

2.1.3. Peut-on mettre en relation cette évolution de la littérature avec certains facteurs culturels, sociaux, économiques ou politiques ?

Cette évolution de la littérature macédonienne est fortement influencée par les processus de désagrégation du féodalisme et de formation de nouveaux rapports bourgeois dans le pays à la fin du XIXe et au début du XXe siècles. Ces processus entrainent des changements politiques, socioéconomiques et culturels qui conditionnent le développement littéraire.

Changements au niveau politique :

A cette époque, la Macédoine se trouve sous domination ottomane, situation qui aggrave davantage les conditions socioéconomiques et qui incite le peuple Macédonien, surtout après le Congrès de Berlin en 1878, à adhérer en masse au mouvement révolutionnaire. Cela donne lieu à l’insurrection d’Ilinden en 1903 à Kruševo, en Macédoine de l’Ouest. A cette époque, le théâtre révolutionnaire en Macédoine reçoit une impulsion favorable du drame tragique Македонска крвава свадба (Les noces sanglantes macédoniennes) (1900) de Voïdan Černodrinski, qui connaît un très grand succès car écrit en langue populaire macédonienne et qui, par son réalisme, évoque les scènes de souffrance et d’héroïsme d’une famille macédonienne exposée à la tyrannie des beys oppresseurs.

La fin de l’époque ottomane est marquée par les Guerres Balkaniques mais également par le partage de la Macédoine entre les quatre pays Balkaniques, la Serbie, la Grèce, la Bulgarie et l’Albanie. L’emploi de la langue macédonienne populaire est officiellement interdit par le(s) régime(s) au pouvoir, mais les parlers macédoniens restent le moyen d’expression écrite pour les auteurs de la période de l’entre-deux-guerres, tel Nikola Kirov- Majski (c’est le cas de son drame Ilinden de 1923, évoquant l’insurrection du peuple macédonien (1903) contre la domination ottomane. Le texte du Manifeste de la République de Kruševo, qui n’a durée que dix jours, est intégré dans le texte du drame.)

Changements au niveau socio-économique :

Ces changements concernent la structure sociale de la société et les grands écarts économiques qui se font sentir entre la bourgeoisie et les masses populaires. Les conditions difficiles de vie et la pauvreté font partir le peuple à l’étranger et sont à l’origine d’un phénomène social, connu en Macédoine sous le nom de pečalba (émigration économique). Le départ à l’étranger a servi de motif à plusieurs auteurs de drames de l’entre-deux-guerres, où le genre du drame se caractérise par une vitalité extraordinaire. Quelques auteurs se distinguent dans ce domaine, tels: Vasil Iljoski (1902-1996), l’auteur du drame Бегалка (Le rapt) (1928) inspiré des thèmes sociaux de la vie populaire; Anton Panov (1907-1968), l’auteur du drame Печалбари (Les ouvriers émigrés)(1934) évoquant la vie dure des macédoniens qui gagnent honnêtement leur pain à l’étranger pour nourrir leur familles vivant dans les villages macédoniens ; Risto Krle (1900 -1975) et son drame Парите се отепувачка (L’argent c’est le meurtre) (1938), dont le sujet est situé dans un contexte social et folklorique, montrant, à travers le meurtre du fils par ses parents, toute la tragédie de la vie d’un émigré économique.

Les conditions socioéconomiques de la première moitié du XXe siècle sont à l’origine d’une diaspora macédonienne qui vie dans les pays voisins ou d’outre-mer et qui garde des contacts très forts avec le pays natal. Parmi les émigrants reconnus dans le milieu d’accueil se distinguent certains écrivains qui ont fait une carrière littéraire. Tel est l’écrivain et traducteur macédonien Stojan Hristov (1897-1995) qui a laissé de nombreux témoignages sur la vie de l’émigration macédonienne aux Etats-Unis. Il est l’auteur des romans Mara, Mojata zemja, Heroi i ubijci, Lavot od Janina et d’autres.

Changements au niveau culturel :

Ces changements s’expriment à travers le processus de création des écoles laïques (primaires et secondaire) qui se déroule dans les années 30 du XIXe siècle, surtout dans les grandes villes de l’époque : Bitola, Struga, Resen, Ohrid, Prilep et Krushevo. C’est dans ces villes que les jeunes intellectuels tendaient à l’émancipation de l’enseignement, qui depuis longtemps déjà restait dans l’orbite spirituelle grecque, afin de faire apparaître leur appartenance slave. La laïcisation de l’enseignement se manifeste également à travers l’emploi de la langue populaire macédonienne dans ces écoles.

 

2.2. LA PRATIQUE DE LA TRADUCTION

Qui traduit ?

2.2.1. Qui sont les traducteurs ?

Les premiers intellectuels macédoniens sont aussi les premiers traducteurs. En faisant leurs études à l’étranger et en apprenant les langues des pays respectifs ils se lancent dans la traduction littéraire tout en subissant l’influence littéraire étrangère.

Tocinovski dans son livre sur les Traductions macédoniennes du XIXe siècle répertorie plus de 30 traducteurs. Ici nous allons citer les plus importants.

Parmi les premiers traducteurs du XIXe siècle se distinguaient plusieurs véritables polyglottes, tel Partenij Zografski, connaisseur excellent du russe, de l’ancien grec, de l’hébreu, du français; puis, Grigor Prličev, qui parlait une dizaine de langues étrangères, entre autres le grec et le latin classiques, le bulgare, le russe, le vieux slave, l’albanais, le turc, l’italien, le français; Rajko Jinzifov, qui traduisait du russe, du tchèque et du polonais, Dimitar V. Makedonski, grand savant qui se servait du turc, du grec, du russe, de l’allemand, du français, de l’italien; puis  Dimitar Miladinov, la personnalité centrale de la renaissance macédonienne et auteur, avec son frère Konstantin, du premier Recueil de Chants populaires, publiés en 1861 à Zagreb sous les auspices du grand évêque croate Josif Juraj Strossmayer. Dimitar Miladinov connaissait suffisamment bien le français pour pouvoir l’enseigner à l’école d’Ohrid et à celle de Kukuš (Macédoine d’Egée), puis le russe, le turc, l’italien etc. (Cf. TOCINOSKI, 2005 :11-12).

Grigor Prličev (né à Ohrid en 1830(31) - mort à Ohrid en 1893) est un des plus grands poètes et traducteur en même temps. Son activité de traducteur sera présentée plus loin et à plusieurs reprises dans ce questionnaire.

Partenij Zografski (né en 1818 à Galičnik -mort en 1876 à Constantinople), “un des plus grands érudits du milieu du XIXe siècle” (TOCINOVSKI, 2005 : 59) est connu, entre autre, par ses traductions. Il a traduit du grec en macédonien populaire le livre de Theophilakt Ohridski Пространото Климентово Житие, publié à Блгарски книжици en 1858 (TOCINOVSKI  2005 : 59-61, СТАЛЕВ 2001 : 81).

Kuzman Šapkarev (né à Ohrid en 1834-mort en 1909) est un maître d’école, éducateur, folkloriste, ethnographe, linguiste, biographe et traducteur dont l’œuvre succède à l’œuvre de Partenij Zografski, auteur lui-même de livres scolaires et traducteur. Il est un des premiers biographes des frères Miladinov et en tant que folkloriste lui-même, il est auteur d’un Зборник (Recueil) en 8 volumes, de tout les genres de La production populaire macédonien (chants, contes etc., publié entre 1891-1894). Dans la période entre 1868 et 1874, Šapkarev avait publié 8 livres scolaires, dont deux traduits du grec et signés par lui-même. Ces traductions représentent sa contribution personnelle à l’introduction de la langue populaire qui s’imposait comme indispensable dans les églises et dans les écoles. Pour la publication, par expl. du livre Св. Посланичник (1870) il a été soutenu par 1270 abonnés de plusieurs villes macédoniennes (Kukuš, Ohrid. Struga, Ressen, Bitola Prilep, Vataša, Kavadarci, Negotino, Štip, Dojran, Ser, etc.)(Cf. TOCINOVSKI, 2005 : 21).

Dimitar V. Makedonski (né à Emboré, Macédoine d’Egée, en 1847- mort en 1898 à Constantinople) est un autre auteur et traducteur de livres scolaires qui a suivi l’exemple de ses collègues de la Macédoine de l’Ouest, Partenij Zografski, Georgi Puleski. Pour les besoins des classes primaires il avait publié, trois livres scolaires dont Скратен правописен катихизис, traduit du grec et publié en 1868.

Krste Petkov Misirkov (né à Postol, Macédoine d’Egée, en 1874 – mort à Sofia 1926) ; linguiste et philologue qui durant son séjour à Petrograd avait traduit le poème Putnik du poète croate Petar Preradovic. Cette traduction est publiée en Russie dans le journal Vardar en 1905 (ТОЦИНОВСКИ, 2005 : 222).

Efrem Karanov (né en 1852 à Kratovo – mort à Kjustendil en 1927) éducateur, maître d’école, écrivain, folkloriste, ethnographe et traducteur, a fait après R. Jinzifov, une deuxième traduction de l’original russe de l’épopée Слово за полкот Игоров(1900) et, en même temps, une première traduction du polonais en macédonien populaire, du poème Пан Тадеуш du savant Adam Mickiewicz (TOCINOVSKI 2005 : 24-27).

Kočo Racin (Kosta Apostolov Solev) (né à Veles en 1908 - mort en 1943), le poète macédonien célèbre de la période de l’entre-deux-guerres et fondateur de la poésie macédonienne contemporaine, traduit du bulgare en macédonien l’article de Todor Pavlov, Préface de Nedeljkovik sur Hegel, publiée dans la revue „Уметност и критика“ (Art et critique), n° 1-2, mai 1939, page 8-14. Cette traduction est signée de ses initiaux KR. On suppose que Kočo Racin est le traducteur du poème Rose de Hristo Smirnenski, publiée dans la même revue à la page 29, car cette traduction n’est pas signée (ТОЦИНОВСКИ, 1996: 50).

2.2.2. Quel genre de textes traduit-on ?

Selon la répartition des textes traduits au XIXe siècle, faite par Tocinovski Vasil (ТОЦИНОВКИ 2005, 17-18), on distingue cinq groupes de textes de genre différents :

1. textes de caractère religieux et didactique (première moitié du XIXe siècle) ;

2. manuels et livres scolaires traduits ;

3. littérature artistique (individuelle) ;

4. littérature scientifique ;

5. autre genres de textes.

Nous nous concentrons ici plus particulièrement sur le troisième groupe, c'est-à-dire sur les traductions de la littérature artistique (profane) dans le cadre desquelles on peut noter la présence des genres suivants : épopée, poésie/poèmes, fables, drames.

Dans les premières décennies du XIXe siècle, la présence et l’influence de la littérature grecque sont dominantes et très visibles dans l’esprit créatif des écrivains de l’époque et dans la traduction. Cela explique l’intérêt pour les genres les plus marquants de la littérature grecque, l’épopée et le drame.

Traduction des épopées :

Grigor Prličev (né à Ohrid en 1830 - 1893), proclamé “Deuxième Homèrе” et couronné de laurier au concours anonyme à l’Université d’Athènes en 1860 pour son poème Сердарот (Le Sirdar) a traduit du grec ancien le texte de l’Iliade, publié, en partie, dans la revue “Читалиште” à Constantinople en 1871, aussi bien que le texte de l’Odyssée de Homère.

Il traduit de l’italien quelques extraits de l’épopée en vers Jérusalem libéré (Gerusalemme liberata) de Torquato Tasso, synthèse poétique du religieux et du profane, traitant de la lutte des chevaliers pour la libération du tombeau du Christ.

Traduction de textes poétiques :

Etant excellent connaisseur du français, Prličev avait traduit de français quelques poésies de Chateaubriand (ТОЦИНОВСКИ, 2005: 98).

Traduction de textes de drames :

Selon les études de Haralampie Polenakovik consacrées à l’œuvre de Jordan Hadji Konstantinov-Djinot, le fondateur du drame dans la littérature macédonienne, Djinot est le traducteur de plusieurs textes littéraires parmi lesquels celui du drame Antigone de Sophocle. En se basant sur un article publié dans Цариградски вестник (Le journal de Constantinople) du 28 mars 1859, qui évoque plusieurs de ses traductions, prêtes à imprimer, et en ayant en vue sa connaissance de la langue grecque, Polenakovik suppose que le texte du drame Antigone est traduit du grec. A défaut de preuve écrite de cette traduction, il ne peut que supposer qu’elle fut faite en vers et non pas en prose.

Selon le même journal, daté du 5 décembre 1853, Djinot avait traduit les drames suivants : Фиал Сократов, Дионис тиран, Дамон и Фидијас за пријателство (ПОЛЕНАКОВИЌ, 1973:71-72).

2.2.3. Citez quelques textes emblématiques traduits à cette époque, titres et dates :

Ayant en vue l’histoire pénible de Macédoine et les régimes successifs qui ne reconnaissaient ni la légitimité de la nation macédonienne ni sa langue, le répertoire des traductions de la littérature profane en Macédoine au XIXe siècle n’a pas pu être très riche. On peut quand même citer quelques textes traduits en langue populaire macédonienne. En suivant un ordre approximativement chronologique de leur réalisation et de leur importance on pourrait dresser la liste suivante :

1. Le poète Rajko Jinzifov, après avoir traduit dans les années 50-60 quelques poèmes de Lermontov, de Pushkin, de Nekrasov, de Chevtchenko, il a traduit l’épopée populaire russe Слово за полкот Игоров publiée en 1863 à Новобългарска сбирка qui présente la première traduction du russe en macédonien. Il a traduit du tchèque la mystification de Václav Hanka, Kralevodvorski rakopis, publiée dans le même receuil (TOCINOVSKI, 2005 : 25).

2. Efrem Karanov (1852-1928) a fait en 1900 une deuxième traduction de l’original russe de Слово за полкот Игоров et une première traduction du polonais en macédonien du poème Пан Тадеуш du slavisant Adam Mickiewicz.

3. En 1859, Andrea D. Petkovic traduit du russe en macédonien trois fables du fabuliste russe Ivan Krylov, publiées à „Цариградски весник“ (Journal de Constantinople). Après la première fable, Вранја в паунови пера en 1859, suivent Младо дрвце et Сочинитељ и разбојник, publiées en 1860. (TOCINOVSKI, 2005 : 24).

4. La traduction (adaptation) de l’italien de Orlando Furioso faite par Grigor Prličev et portant le titre Смехории на Ариоста est considérée comme la première traduction de l’œuvre de Lodovico Ariosto chez les Macédoniens et chez les autres peuples slaves (ЃУРЧИНОВА, 2001: 72). Notons, d’après Gjurčinova, que ce manuscrit écrit en bulgare, avec des éléments du dialecte d’Ohrid de Prličev, se trouve dans Les Archives de Macédoine à Skopje et qu’une partie de cette traduction fut publiée par Tome SAZDOV Предговор во: Непознатиот Прличев, Смехуриите на Ариосто, Македонска книга, Скопје, 1995 (ЃУРЧИНОВА, 2001 : 72).

2.2.4. Quel est le degré d’adaptation des textes étrangers utilisés comme sources à cette époque ? Comment ce degré d’adaptation évolue-t-il avec le temps ?

- Exemple illustrant la traduction du type a :

Ce type de traduction correspond à la traduction du russe en macédonien populaire de l’œuvre de Joan Flerov „О православных церковныџ братствах противоборствоваших унии в юго-западной России, в XVI, XVII-XVIII столетиях“ faite par le poète Konstantin Miladinov. Selon l’analyse de cette traduction, faite par Polenakovik, une grande partie est réalisée en langue populaire et satisfait aux critères d’une bonne traduction. La base lexicale comporte des éléments du parler de Struga, la ville natale du poète, bien qu’il note la présence d’emprunts de l’original russe et de mots dérivés à l’aide de terminaisons ou de suffixes du parler de Struga. Polenakovik explique la présence de ces russismes, premièrement, par le fait que Konstantin Miladinov n’avait pas été un traducteur expérimenté et, deuxièmement, par le temps limité qu’il avait à sa disposition pour effectuer cette traduction. Son analyse détaillée montre que certaines parties du texte sont traduites littéralement ; le titre de l’œuvre de Joan Flerov est légèrement modifié ; l’influence du russe est très forte au niveau lexical ; la signification de certains emprunts du russe est parfois expliquée par des mots entre parenthèses, connus par le lecteur macédonien ; certaines parties de l’original sont abrégées et d’autres prolongées, sans que cela nuise au texte de la traduction.  (ПОЛЕНАКОВИЌ, 1973а : 126-145, 155)

- Exemple illustrant la traduction du type b.:

En tant que traducteur de l’épopée Orlando Furioso de Lodovico Ariosto, Grigor Prličev, privilégie une approche très analytique en transformant l’original d’Ariosto et en aboutissant a un texte en prose, très proche de ce que dans la théorie de la traduction est connu sous le nom d’adaptation. Selon Gjurčinova, le manuscrit de Prličev porte le titre Смехориите на Ариоста, извлечени од поемата му «Orlando furioso» (L’humour de Ariosto tiré de son poème «Orlando furioso») et contient, sur 143 pages et dans une version remaniée et abrégée, tous les 46 chants de «Orlando furioso» sauf le troisième, le quatrième et la première partie du cinquième chant).  Les deux raisons pour lesquelles Prličev modifie l’original pour en faire une adaptation sont les suivantes : premièrement, il veut se distraire soi-même, en chassant sa mélancolie et deuxièmement, il veut distraire et éduquer son peuple, pauvre et tourmenté. L’action et les personnages dans le texte de l’adaptation restent les mêmes que dans le texte original, mais son titre, sa longueur et son genre sont différents de ceux de l’original. Les noms des personnages sont légèrement modifiés. Le nom du personnage principal, Orlando, de l’original, devient Роландъ (Roland), le nom de Ruggiero reçoit, lui aussi, une transcription à la française, Рожеръ (Roger). (ЃУРЧИНОВА, 2001:73-85)

Da se doraboti (vidi Jinzifov, Petkovik)

2.2.5. Le degré d’adaptation varie-t-il en fonction des langues traduites et des types de textes ?

2.2.5. Il est difficile en ce moment de faire une évaluation du degré d’adaptation des textes traduits ayant en vue que certaines traductions n’existent qu’en versions manuscrites ou ne sont pas retrouvées dans l’héritage de certains traducteurs (la traduction de l’épopée Oslobodeniot Jerusalim de Torquato Tasso faite par Prličev, ou la traduction de la tragédie Antigone de Sophocle faite par Djinot). On ne peut que supposer, selon Polenakovik, que la traduction de L’Antigone est faite du grec et en vers.

2.2.6. De quelle(s) langue(s) traduit-on ? Pouvez-vous évaluer la part respective des différentes langues dans l’ensemble des traductions.

Dans l’ensemble des traductions en macédonien populaire réalisées au cours du XIXe et au début du XXe siècle, les langues sources sont : l’ancien grec (langue source, probablement, pour la traduction des œuvres classiques faite par Dzinot, et langue source pour les traductions de l’Iliade et de l’Odyssée faites par Prličev), le grec (langue de laquelle Prličev traduit ses propres poèmes Serdarot et Scenderbay), le russe (première traduction de l’épopée populaire „Слово за полкот игорoв“ faite par Rajko Jinzifov, traduction des fables de Krilov par Andrea D. Petkovik), le serbe (première traduction de la littérature serbe faite par Joakim Krčoski), le tchèque (traduction de „Либушин суд“ faite par Konstantin Petkovik, le polonais (première traduction du poème Pan Tadeusz de Adam Mickiewicz faite par Efrem Karanov), l’italien (adaptation de l’œuvre Orlando Furioso de Lodovico Ariosto faite par Prličev), le français (traduction de quelques poèmes de Chateaubriand). Selon l’Autobiographie de Grigor Prličev, où il évoque les cours de français qu’il avait suivis à l’école de Dimitar Miladinov, ainsi que la traduction du premier volume des Avantures de Télémaque, le fils d’Ulysse de François Fénelon, on pourrait supposer que ce texte est traduit du français, durant les cours de français chez le maître Dimitar Miladinov (НАСТЕВ, 1985 : 45).

L’évaluation de la part respective de chaque langue dans l’ ensemble des traductions ne peut être qu’approximative : les traductions du grec sont les plus nombreuses dans les premières décennies du XIXe siècle. A cette domination grecque succède celle des traductions du russe, puis celle du serbe surtout dans la période du renouveau littéraire (литературната преродба). Les traductions de l’italien, du français, de l’anglais, de l’allemand sont beaucoup moins fréquentes bien que ces langues soient enseignées dans les écoles macédoniennes dès le milieu du XIXe siècle.

2.2.7. Traduit-on directement ou via des langues-relais ?

Selon les données dont on dispose, il est confirmé que certaines traductions furent réalisées directement du texte original. Mais il y a des cas où faute de preuve écrite, soit parce que les manuscrits sont perdus, soit parce que leur publication n’est pas attestée (le cas de la traduction de l’Antigone faite par Djinot) on ne peut être certains si les textes sont traduits directement ou via une langue relais.

2.2.8. Trouve-t-on des réflexions et/ou des débats sur la traduction ? Sur quoi portent-ils ?

Selon les données dont on dispose, la période du XIXe siècle et du début du XXe siècle est une période qui sur le plan de la traduction ne marque pas de débats publics organisés à ce sujet. Mais l’on peut supposer que les débats sur la traduction furent très riches dans les écoles où l’on enseignait les langues étrangères. Tel est le cas de l’école de Dimitar Miladinov à Struga où les élèves "avaient mis six mois pour traduire le premier volume de Télémaque". (ПРЛИЧЕВ, 1991 : 57 –58)

Au niveau des réflexions sur la traduction on pоurrait citer l’exemple du poète Grigor Prličev qui, sur les pages des journaux athéniens de 1860, polémique avec Theodoros Orphanidis à propos de la traduction de A. R. Ranguavis, traducteur grec, de 6 poèmes de Torquato Tasse. Etant offensé et humilié par Orphanidis, Prličev avance des arguments en faveur de sa compétence de juger sur la qualité de ces poèmes traduits de l’italien. (ЃУРЧИНОВА, 2001 : 71-72)

Prličev est aussi l’auteur d’un texte polémique sous titre „Критик и преведувач“ (Le critique et le traducteur) (ПРЛИЧЕВ, 1959). Ce texte résume ses réflexions sur la traduction littéraire, ses procédés d’adaptation de l’original des œuvres qu’il avait traduites, semblables à ceux de la période des Belles infidèles et, notamment, sa réflexion concernant sa traduction de l’Iliade, dont une partie fut publiée dans la revue Читалище en 1871 à Constantinople.

2.2.9. Certains traducteurs écrivent-ils des préfaces explicitant leur pratique ainsi que le choix des textes qu’ils traduisent ?

Le texte Le critique et le traducteur de Prličev, évoqué dans la réponse à la question 2.2.8., et prévu comme préface à sa nouvelle traduction de l’Iliade, explique ses principes poétiques rigoureux respectant, avant tout, l’esthétique de l’œuvre. Ce texte est publié pour la première fois par le fils de Grigor Prličev, Kiril Prličev, à Sofia dans Makedonski pregled, kn. 2, page 108-115, puis à Skopje en 1959 dans le livre Oдбрани страници (rédacteur Todor Dimitrovski). Guidé par l’idée de l’esthétisme, il se sent libre de raccourcir, modifier ou interpréter le texte original à sa façon et conformément au contexte historique et culturel de son époque, en aboutissant, ainsi, non pas à une traduction, mais à une adaptation (le cas de son adaptation de l’épopée d’Ariosto).

Malgré cette approche qui lui est propre, Prličev choisit et traduit les textes et les œuvres des grands écrivains classiques, tel Homère. C’est un fait qui met en relief ses grands talents.

 

2.3. LE RÔLE CULTUREL DE LA TRADUCTION

La traduction et la langue

2.3.1. Statut de la langue écrite à l’époque (existe-t-il une norme unique pour cette langue? Coexistence éventuelle avec d’autres langues ?)

A l’époque du XIXe siècle, jusqu’à les guerres balkaniques, la Macédoine fait partie de l’Empire Ottomane et le macédonien, qui est en usage comme langue populaire, n’a le statut de langue écrite ni celui de langue reconnue. Les processus de modernisation qui sont en germe à cette époque, concernent également le domaine sociolinguistique. C’est au cours du XIXe siècle que s’effectue un changement au niveau de la base de la langue écrite, le slave d’église. Les livres liturgiques rédigés en slave d’église, devient incompréhensible pour les masses et, ne pouvant plus satisfaire aux besoins de l’église, cette langue cède la place à la langue populaire. Les éléments de la langue populaire pénètrent dans la langue écrite en changeant progressivement sa physionomie. Durant le XIXe siècle il n’y a pas de norme unique pour le macédonien populaire.

Le XIXe siècle est marqué aussi par la coexistence de plusieurs langues sur le sol macédonien. Selon Blaze Koneski, les propagandes politiques serbes, bulgares et grecques se font sentir dans certaines régions durant le XIXe siècle, mais aucune de ces langues ne peut être tenue pour dominante en Macédoine. Elles existent à côté du macédonien populaire.

2.3.2. La traduction joue-t-elle un rôle dans le développement de la langue littéraire

En tant qu’historien de la langue macédonienne et traducteur lui-même, Blaze Koneski a formulé une définition qui nous semble très adéquate comme réponse à cette question : « Notre langue se forge, par-dessus tout, dans la forge de la traduction » (АНДРЕЕВСКИ, 1991:391). Evidement, c’est par l’intermédiaire de la traduction que l’on ouvre de grands processus d’enrichissement de la langue littéraire, en découvrant de nouveaux schémas de fonctionnement de la langue et de nouvelles métriques et approches stylistiques dans la poésie. Ces processus confirment et affirment, en même temps, l’expression authentique correspondant à la tradition de la langue macédonienne.

L’apport de la traduction est visible surtout au niveau de l’enrichissement du vocabulaire de la langue populaire macédonienne. En traduisant les œuvres écrites en langues déjà standardisées ou littéraires, les traducteurs se tournent vers les possibilités et les moyens que leur offre la langue populaire. En puisant dans leurs propres dialectes soit ils redonnent la vie aux mots rares, soit ils procèdent à la composition et à la dérivation de mots nouveaux à l’aide de morphèmes dérivationnels (préfixes, infixes, suffixes) (Cf. ПОЛЕНАКОВИЌ, 1970: 86-87).

La traduction et la littérature

2.3.3. La littérature profane est-elle d’abord originale, traduite/adaptée, ou les deux à la fois ?

La littérature profane et les traductions apparaissent parallèlement. Bien d’auteurs de l’époque du XIXe siècle sont à la fois des traducteurs de la littérature de l’Est et de l’Ouest.

Cependant, Blaze Koneski signale une certaine influence de la poésie lyrique serbe sur l’apparition de la poésie macédonienne vers le milieu du XIXe siècle.  Il met en relation le poème Гуслар в Собор (1862) de Rajko Jinzifov et le poème “Srbkinja” du poète serbe Jovan Subotik daté de 1837 et paru dans le recueil “Bosilje” (1843) en considérant qu’il s’agit d’une copie. Il signale la ressemblance entre le prénom de la fille Milka dans le poème de J. Subotik et le prenom de la fille Milkana dans le poème de R. Jinzifov. Il est d’avis qu’une analyse plus détaillée pourrait confirmer l’existence d’autres ressemblances entre ces deux poèmes. Aussi est-il d’avis que bien de poèmes venus du voisinage macédonien dans la première moitié du XIXe siècle sont adaptés. (КОНЕСКИ, 1986: 89).

2.3.4. La traduction joue-t-elle un rôle dans le développement des formes, des genres, et des courants littéraires ?

Les textes traduits représentent un lieu d’échanges culturels et jouent un rôle important dans le développement des formes, des genres et des courants littéraires sur le sol macédonien. La création littéraire de Jordan Hadji Konstantinov-Djinot (1821/22-1882) en est un bel exemple. Etant sous l’influence de la littérature grecque, il se lance non seulement dans la traduction de drames classiques, mais aussi dans la création de courts textes de drame, connus sous le nom de Dramolettes. Les dramolettes jouées par ses élèves lors des fêtes scolaires, lui ont valu le rôle de fondateur du drame macédonien. Les traits classiques présents dans ces textes sont considérés comme un reflet attardé de la période du classicisme, c'est-à-dire comme un écho pseudo classique.

Djinot est l’un des écrivains macédoniens qui se lance aussi dans la création d’aphorismes à caractère moral.

2.3.5. Quelle est la finalité principale des traductions ou adaptations ?

Il est évident que les traductions des livres des langues étrangères présentent un moyen efficace de contact entre les peuples. Mais elles sont rarement indépendantes de l’intérêt politique, idéologique, ou esthétique du pays de leur origine.

Finalité politique de la traduction :

Si Konstantin Miladinov s’occupe de la traduction de la brochure antiuniate de J. Flerov c’est parce que le Comité slave de Moscou (Словенски благотворителен комитет) souhaite protéger les intérêts russes orthodoxes et répandre les idées russes parmi les peuples slaves oppressés dans les Balkans. Le but de l’influence russe est d’éliminer l’influence des missionnaires catholiques français, les Lazaristes, qui offraient au peuple macédonien la libération de la domination phanariote, soutenaient la créаtion des écoles populaires etc. (НАСТЕВ 1985 : 56, ТОЦИНОВСКИ, 1985 : 122).

Parmi les traductions à finalité politique, et quelque peu religieuse, on peut mentionner la traduction du livre Служение еврејско и все злотворение нихно (1839) du moine roumain Néophyte, faite par Gueorgui Samourkaš et Natanaïl Ohridski. Le livre se caractérise par une approche antisémite traitant de la ruse et des forfaits commis par certains juifs qui souhaiteraient éliminer ses concurrents économiques.

Finalité didactique de la traduction :

La période du XIXe siècle se caractérise par une riche activité au niveau didactique. Afin de satisfaire aux besoins de l’enseignement en macédonien populaire les maîtres d’école se mettent, eux-mêmes, à la conception de manuels. Selon Tocinovski, il est certain qu’ils se servent de sources étrangères, bien que ces sources ne soient pas clairement indiquées dans leurs manuels. A la plupart de ces manuels, donc, on ne peut attribuer que le statut d’œuvres recrées ou adaptées.

Néanmoins, un exemple de manuel traduit serait l’abécédaire de Jordan Hadji Konstantinov-Djinot, Tablica pervaja, qui, selon Polenakovik, représente une traduction du serbe en macédonien de l’abécédaire Ijica (Ижица) de Dositej Obradovic. La traduction de l’abécédaire est riche en aphorismes moralisateurs et elle est destinée à l’enseignement dans les écoles macédoniennes. (Cf. ПОЛЕНАКОВИЌ, 1973 : 9-24)

2.3.6. Quels sont les supports de publication et les modes de diffusion des traductions ? Y a-t-il des différences à cet égard avec la littérature originale ?

Un grand rôle dans la diffusion de la littérature originale jouent les abonnements des habitants de plusieurs villes et villages macédoniens (Bitola, Veles, Štip, Gostivar, Debar, Radoviš, Strumica, Kratovo, Lazaropole, Tresonče, Štipsko Novo selo, Kavadarci, Kruševo Berovo, Prilep, Skopje, Tetovo, Ohrid, Struga, Dojran, Kriva Palanka, Gevgelija, Vataša, Seres, Voden  etc.) (МОКРОВ, 1991). L’abonnement fut aussi un mode de diffusion des œuvres traduites. La traduction du livre Служение еврејско и все злотворение нихно (1839) du moine roumain Néophyte, faite par Gueorgui Samourkaš et Natanaïl Ohridski a suscité un grand intérêt, dont témoigne la liste de 146 personnes abonnées jointe à la fin du livre. Cette traduction fut publiée dans l’imprimerie de Théodosij Sinaitski à Thessalonique. (МИРОНСКА-ХРИСТОВСКА 2005 : 193-194)

Les livres qui sont publies à l’étranger (Buda, Moscou, Constantinople…) y compris les traductions en macédonien populaire, sont diffusés grâce aux commerçants et aux intellectuels qui entretenaient de très vifs contacts avec ces villes. Il n’est pas sans intérêt de signaler le fait que le livre (manuel) Кратка свјаштена историја за училиштата во Македонија (на македонско наречие) de Dimitar Makedonski, dont un exemplaire se trouve au Musée de la ville d’Ohrid, est publié à Constantinople en 1867 et diffusé en Macédoine en 1440 exemplaires. Les noms des destinataires de ces exemplaires sont répertoriés à la fin du livre. (КОНЕСКИ, 1986: 206)

Une grande contribution à l’égard de la publication et de la diffusion des œuvres originales et traduites apporte non seulement l’imprimerie de Theodosij Sinaitski à Thessalonique, mais aussi l’imprimerie à Vataša de Daskal Kamce, ouverte en 1848, où fut imprimé le premier Буквар (L’Abécédaire) de Jordan Hadji Konstantinov-Djinot.

2.3.7. Quel est le publique des traductions ? Est-il différent du public de la littérature originale ?

Le public des traductions dépend du caractère du livre traduit. En général, on vise les intellectuels, les maîtres d’école et les élèves que l’on considère être en mesure de répandre les courants idéologiques et littéraires de l’époque. Le but en est de mettre en valeur l’éducation en langue populaire ainsi que de remplacer le slave d’église et le grec par la langue macédonienne populaire.

2.3.8. Réception critique de la traduction.

La parution de la plupart des traductions durant le XIXe et du début du XXe siècle passe sous silence.  Au moment où il paraît, le texte traduit, en tant que produit de la traduction, n’attire pas beaucoup l’attention de la critique. C’est un fait qui fut signalé par plusieurs bons connaisseurs de cette longue période. Les textes traduits ne font l’objet d’une analyse linguistique et stylistique que plusieurs décennies plus tard.

Pourtant, une exception à ce propos fait l’observation critique et sévère du Bulgare Nešo Bončev, sur la traduction des deux premiers chants de l’Iliade d’Homère proposée par Grigor Prličev.  En publiant ses observations dans la revue Periodičesko spisanie n° 4, de 1871, Bončev lui fait des remarques concernant la forme raccourcie du texte traduit et surtout concernant le procédé d’introduction de vers nouveaux auquel a recourt Prličev afin d’assurer la continuité de sa traduction. Dans ses observations critiques, Bončev s’attaque plus particulièrement au lexique et à la métrique employée par Prličev, en lui suggérant de bien apprendre la grammaire. Etant d’origine macédonienne, Prličev introduit des éléments de son parler d’Ohrid, en rendant la traduction incompréhensible au critique bulgare.

Dans la même revue (Periodičesko spisanie n° 13, du 1 avril 1871) Prličev annonce son approche lors de la traduction de l’Iliade, mais cette annonce n’est pas prise en considération par la critique. Il est profondément déçu de la réception critique de son travail et il jette sa traduction dans le feu. (ПОЛЕНАКОВИЌ, 1973 : 245-246)

2.3.9. Qui prend en général l’initiative des traductions (traducteur? éditeurs ? libraires ? mécènes ? pouvoir politique ou religieux ?)

Selon les données dont on dispose, en 1852, L’Accadémie russe des sciences publie la première traduction en vers du tchèque en macédonien populaire faite par Konstantin Petkovik. Il s’agit de la traduction de l’extrait Libušin sud de la mystification de l’épopée nationale Kralevodvorskiot rakopis de l’écrivain Vaclav Hanka. Cette traduction fut réalisée à la demande du professeur I. I . Sreznevski, directeur du Département des études slaves à l’Université de Petrograd, où Konstantin Petkovik à terminé ses études.(ПОЛЕНАКОВИЌ, 1973 : 162)

2.3.10. Existe-t-il une censure visant spécifiquement des traductions ?

En ce qui concerne la traduction de la littérature profane, on ne dispose pas, pour le moment, de données signalant des traductions exposées à la censure.

Pourtant, en ce qui concerne l’exposition a la censure des textes sacrés, Koneski signale le cas du texte Utesenie gresnim de Kiril Pejčinovik qui après examen de la part de l’église métropolitaine à Belgrade, na pas reçu un avis favorable à sa publication (1836). Selon l’avis de l’église, Pejčinovik avait employé des expressions terrestres et populaires pour désigner les choses célestes   (КОНЕСКИ 1986:36).

2.3.11. Les modalités d’exercice de la traduction sont-elles influencées par les identités nationales, sociales, etc.

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2.3.12. Des traductions ont-elles joué un rôle dans l’évolution des idées et de la société ?

Dans la période 1800-1945 la traduction en Macédoine a été surtout au service du développement spirituel et culturel du peuple. Elle a servi de pont qui l’a lié aux peuples différents et aux cultures d’expression linguistique différente d’où venaient de nouvelles idées littéraires, sociales ou politiques. L’ensemble de ces idées apportait son soutien à l’évolution de la société macédonienne en général. Cela entraine l’ouverture de nouvelles écoles, imprimeries (celle à Vataša, par ex.) et bibliothèques en Macédoine qui représentent une bonne base pour le développement de la créativité littéraire et de la formation de la littérature profane.

Bien que les traductions de cette époque soient en langue macédonienne populaire reflétant les traits du parler du traducteur, elles communiquent aux lecteurs les idées de la période des lumières et du rationalisme (de Dositej Obradovik, par ex.). Les traductions du russe de Rajko Jinzifov et le séjour de Constantin Miladinov en Russie introduisent un lyrisme romantique favorable à l’évolution de l’expression  littéraire macédonienne. En traduisant les oeuvres de Nekrasov, Hertcen, Dobroljubov ou de Černišeski, Jinzifov a transmis aussi leurs idées démocratiques et révolutionnaires. C’est en suivants la voie de la modernisation de la littérature macédonienne que Kočo Racin, poète de l’entre-deux-guerres, adopte les reflets de l’expressionnisme, expérimente le vers libre (dans ses Laboureurs par ex.) devenant ainsi précurseurs des mouvements modernes.

Soulignons que les traductions et le renouvèlement de la création littéraire entrainèrent également une évolution plus dynamique de la langue macédonienne, proposée et exposée dans le livre Za makedonckite raboti (1903) de Krste Petkov Misirkov qui, de sa part, résume les idées progressistes de ses contemporains.

 

SOURCES

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